Plus qu'un carton, La Guerre des étoiles fut un véritable phénomène à sa sortie. Dans le paysage bouillonnant du Nouvel Hollywood, George Lucas ne venait ni plus ni moins que de réinventer le cinéma spectacle avec son western spatial (tout comme Spielberg et son Rencontres du troisième type). La fin ouverte du film et la fuite de Vador à travers l'espace laissaient bien sûr présager une suite que les fructueuses recettes du film ne purent que confirmer. Lucas ne tarda donc pas à mettre sur les rails une première séquelle et se fixa déjà l'élaboration d'une trilogie. Fort de son indépendance financière, acquise grâce à une clause spécifique de son contrat juteux avec la Fox (qui lui fit garder tous les droits de l'oeuvre), le cinéaste décida de garder les mains libres sur cette suite sans faire appel au studio mais en la finançant de son propre argent. La collaboration houleuse avec la Fox (le studio ne lui laissa pas le final cut du premier film) se limiterait à la distribution du film sur tous les écrans. Le risque était alors énorme pour Lucas car si le premier film avait marché, rien ne lui indiquait que le public serait à nouveau au rendez-vous pour ce second opus. Restait ensuite la question de l'intrigue et du scénario. Peu désireux de se coltiner l'écriture, Lucas embaucha l'écrivaine Leigh Brackett pour écrire un premier traitement sur la base de ses indications. Un script qui ne plut pas à Lucas et qu'il réécrivit après le décès de la scénariste, avec le concours du débutant Lawrence Kasdan (qui mettait alors le point final au scénario des Aventuriers de l'arche perdue). Conscient qu'il ne pourrait à la fois être sur tous les fronts de la production du film et en assurer sa réalisation, Lucas se tourna vers Irvin Kershner (son ancien professeur à la Southern University de Californie) pour le mettre en scène. Peu expérimenté dans le domaine de la SF, ce réalisateur perfectionniste et exigeant déclina d'abord l'offre avant que son ancien élève ne réussisse à le convaincre en le déchargeant de la gestion des effets spéciaux tout en lui jurant qu'il lui laisserait les coudées franches dans la réalisation du film. Kershner le prit au mot et imposa alors une vision plus sombre de cet univers, en approfondissant notamment les liens entre les personnages et l'aspect sentimental, particulièrement marqué, de son film. Formaliste exigeant, le cinéaste prit plus de temps que prévu à tourner le film, en travaillant particulièrement sa superbe photographie, ce qui entraîna finalement pas mal de frictions entre les deux hommes. A sa sortie pourtant, L'Empire contre-attaque entérina l'exploit du film précédent et explora encore plus loin la mythologie stellaire créé par Lucas. Encore aujourd'hui, tout le monde ou presque s'accorde à dire que cet épisode 5 reste le meilleur.
La grande originalité du film réside avant tout dans sa structure. A contrario du schéma narratif traditionnel imposant une montée en puissance progressive de l'action au fur et à mesure des enjeux du récit, L'Empire contre-attaque est un des premiers films du genre à oser inverser cette structure attendue. La grande scène d'action du film ne clôt ainsi pas le métrage mais ouvre au contraire son intrigue, découvrant au public une bataille aux proportions similaires à celle clôturant le premier opus, mais qui délocalise les hostilités dans un cadre SF inédit à l'écran : Hoth, la planète enneigée, où la station des rebelles croule sous les assauts de quadripodes géants aux allures de titans cyclopéens. On y découvre des protagonistes plus matures et responsables qu'à la fin du premier film, et leurs relations semblent avoir évolué au gré d'événements survenus entre les deux films. Cette ellipse narrative et le gigantisme de la bataille de Hoth suffit à propulser la mythologie Star Wars encore plus loin : dès les premières minutes de son exposition, L'Empire contre-attaque surprend et emmène le spectateur sur des terres inexplorées, ouvrant un univers encore plus vaste que ce qu'il pouvait imaginer à la fin du premier film. C'est cette entrée en matière et la dynamique de ses images qui ont participé à la légende de Star Wars et il n'est pas étonnant que cette bataille de Hoth soit rapidement devenue culte.
Ce n'est évidemment pas la seule audace du film. En héritant de la réalisation de cet opus, Kershner eut visiblement à coeur d'accorder une place importante aux émotions et au développement de ses personnages. Il suffit de voir ces nombreuses scènes de chassé-croisé amoureux accordés à Solo et Leïa, l'émotion qui se dégage de leur déclaration d'amour lors de la cryogénisation de Solo et surtout la puissance dramatique induite par la révélation de Vador à Luke (le plus grand twist de l'histoire du cinéma). Dans L'Empire contre-attaque chaque protagoniste semble avoir évolué, gagné en maturité : Luke est devenu un guerrier faisant l'apprentissage de la Force, Solo n'est plus le contrebandier individualiste des débuts mais un soldat amoureux, soucieux de ses amis, et Leïa finit par avouer son amour à Solo. Même Vador semble avoir gagné en cruauté dans sa totale absence d'indulgence pour ses sous-fifres et les quelques répliques lapidaires qu'il leur adresse avant de les étrangler à distance. Cet antagoniste gagne ici d'ailleurs en profondeur, ne serait-ce que par sa révélation finale qui bouscule en une seule réplique toute la perception que l'on a du personnage. D'autant plus que le film laisse entrevoir la présence d'un antagoniste bien plus redoutable que lui, un Empereur qui n'apparaîtra ici que par le biais d'un hologramme géant, écrasant de toute sa taille la silhouette prosternée de Vador (dans la version cinéma initiale, il ne s'agissait pas du Sidious que nous connaissons). Le Chevalier Noir n'est plus la seule incarnation de l'Empire, il est aussi apparemment une ancienne figure héroïque dominée et corrompue par le mal.
En ce sens, la révélation finale n'est que l'expression évidente d'une thématique qui traverse toute l'intrigue du film. L'Empire contre-attaque n'est pas seulement un formidable film de science-fiction, c'est aussi un film dont le scénario joue sans cesse avec les apparences. De son exposition à la toute dernière scène, le film ne cessera jamais de piéger le spectateur par le détournement méthodique de ses archétypes. Le Chevalier Noir aurait pu simplement n'être que l'assassin du père du héros, il se révèle en fait être la même personne; exilé sur une planète dépeuplée, Luke cherche un maître Jedi et ne trouve qu'un petit gnome vert marrant qu'il ne soupçonne pas être son futur mentor; réfugiés dans une immense caverne pour fuir l'empire, les héros découvrent avec horreur qu'ils se cachent en fait dans le ventre d'un monstre; idem pour Bespin, Solo et ses amis s'imaginent en sécurité dans la Cité des nuages alors qu'en fait Lando les a trahis et que l'Empire est déjà là. On peut aussi évoquer la première apparition spectrale d'Obi-Wan dans la tempête de neige, le passage dans la grotte et le combat de Luke contre lui-même sur Dagobah, l'apparence figée d'un Solo cryogénisé et bien vivant ou encore la greffe d'une main synthétique reproduisant parfaitement celle dont Luke fut amputée. Tout L'Empire contre-attaque fonctionne ainsi comme un rideau trompeur que Kirshner et Lucas découvrent peu à peu pour révéler ce qu'il cache et se jouer ainsi des certitudes des spectateurs. C'est une façon de dire que dans cet univers tout est possible et que les apparences y sont bien souvent trompeuses.
La dimension plus dramatique de cette suite marquera aussi longtemps l'imaginaire du public. L'Empire contre-attaque est certainement l'opus le plus sombre de la saga en cela qu'il brise tous les schémas attendus.
Il convient bien sûr de replacer le contexte de l'époque : pour la première fois à l'écran, une fresque de science-fiction, a priori destinée aux plus jeunes, s'accordait le luxe de refuser tout happy end et de se conclure sur l'échec des héros. La résistance est en déroute, les héros sont trahis, Solo est laissé pour mort et Vador a vaincu Luke. La fin du film annonce clairement un dernier tiers des plus tendus en terme d'enjeux. Un Retour du Jedi pas moins efficace dans sa réalisation (voir son superbe prologue) mais quelque peu inégal dans son écriture, handicapé par les velléités commerciales de Lucas, alors que plus personne ne semblait pouvoir s'y opposer après le départ de Kirshner.
En ce sens, c'est bien parce que Lucas avait trouvé à qui parler que ce second opus est aussi réussi. Véritable pierre angulaire de la mythologie créé par Saint George, L'Empire contre-attaque surpasse l'original en en renforçant les enjeux et l'imaginaire. Il reste à ce jour l'opus le plus important de la saga, un formidable spectacle et la meilleure raison d'expliquer le mythe Star Wars.