C’est en tournant dans Cabots, une farce sur un réalisateur obligé de tuer un chien pour les besoins d’un tournage, qui récolta attaques en tout genre, que Moullet comprit qu’il existait une religion du chien et qu’il n’était pas de bon aloi de tourner cet empire en dérision. Il va donc contourner la censure et faire ce documentaire, très drôle, très corrosif, sur une société à son paroxysme de l’absurde, dans lequel il filme les toilettages, les produits de beauté, les concours, un cimetière canin (Unique cimetière de Paris où il faut payer pour entrer, n’hésite-t-il pas à dire) mais aussi les caninettes en action, car dit-il un moment donné – où l’on sent que son filtre est un peu tombé : Paris est devenu la capitale de la merde. On voit donc des chiens en train de chier en toute impunité. Puis Moullet demande à une enfant : « Pourquoi appelle-t-on un chien, un chien ? » Parce que ça chie partout, répond t-elle. Alors quand Moullet se défroque et choisit son arbre, il est agressé par une avalanche de sifflets de police. Et le film varie ainsi entre le ton neutre qu’impose le genre du documentaire sur les bêtes, et un second degré réjouissant, qui finira même par filmer un défilé de motocrottes accompagné par l’élan épiques des premières secondes de La chevauchée des Valkyries, de Wagner. Auparavant, on apprend que les dépenses de produits pour chiens en France dépassent le PIB du Sénégal, qu’on peut insérer une page toutou dans un journal qui fera cinq lignes sur les morts de Soweto. Plus qu’un film pour ceux qui n’aiment pas les chiens, L’empire de Médor est un film contre ceux qui préfèrent les chiens aux humains. Moullet ne manque pas de rappeler dans la présentation du film (hors film, donc) qu’en tant que randonneur chevronné, le vrai danger ce ne sont pas les chutes ni les animaux sauvages, mais les chiens non tenus en laisse.