L'enfance nue. Nue comme une lame, nue comme la vérité, nue comme la solitude des nuits après l'abandon.


Devant le film de Pialat, on pense par réflexe aux "400 coups", le beau film de Truffaut. Dans les deux cas histoire d'un enfant difficile, isolé de sa famille naturelle, placé sous surveillance et promis au redressement. Premier long-métrage dans les deux cas de réalisateurs ambitieux, désireux de casser les codes et dont les filmographies deviendront parmi les plus reconnues du cinéma français. Qui plus est Truffaut, déjà largement lancé en 1968, a mis de l'argent dans la production de ce premier film de Pialat -son aîné-.


Mais dans le fond, c'est tout. "L'enfance nue" n'est ni une copie, ni un prolongement, encore moins un succédané des "400 coups".


La nouveauté de Pialat est plus radicale que celle de Truffaut... Même en opposition à pas mal de ses aînés, Truffaut reste un metteur en scène qui respecte la narration et les codes cinématographiques. Pialat, pas plus que ça. Il met ici en images des scènes qu'il a certes organisées mais sans souci de ce qu'on apprend dans les écoles. Ses acteurs sont des amateurs, maladroits et naturels, quasiment dans leurs propres rôles, ses raccords sont limites, ses ellipses peu orthodoxes. Sa pierre est brute, pas joliment sculptée.


C'est que Pialat n'est pas un cinéaste "littéraire" comme Truffaut, dont les images illustrent le propos plus qu'elles ne le créent. Dans "L'Enfance nue" il ne raconte pas, il donne à voir. Et sans ménagement, sans effet romanesque, avec une forme de brusquerie, car déjà ici Pialat n'est pas un réalisateur policé.


Son petit François, baladé de foyer en foyer dans l'âcre pays minier du Pas-de-Calais, il ne cherche pas à nous le faire aimer. François n'est pas Antoine Doinel, qui nous touche dés la première minute. Ses bêtises ne sont pas vénielles: pas de vol d'une machine à écrire mais un chat qu'on jette cruellement dans une cage d'escalier avant de balancer son cadavre dans une décharge… pas de bobard morbide pour justifier une absence en classe, mais un accident provoqué en lançant depuis un pont des clous sur les voitures. Quand François se fume une clope, ce n'est pas comme Antoine en lisant Balzac, mais au pied d'un terril avec des petites racailles. François n'a pas la gouaille souriante. Il ferme son visage, il ment, il pisse au lit; il décourage ses familles d'accueil. Et Pialat ne lui prodigue aucune caresse avec sa caméra.


Mais parce que sans jugement, il montre l'enfant sous tous ses aspects, on le voit aussi débordant de tendresse, dans une demande absolue de chaleur et d'affection, dans une vulnérabilité de moineau, et comme les braves gens qui l'accueillent, tout insupportable qu'il puisse être, on s'attache à lui, on l'aime, et de plus en plus.


Pialat n'a rien imposé, n'a usé d'aucun effet. Mais dans une démarche parfois quasi-documentaire, il nous a guidé vers l'empathie.
La fin est exemplaire. Pas de course éperdue vers la plage et l'infini romanesque des vagues comme dans "Les 400 coups". Ici, on ne voit pas François. On voit et on entend, le couple âgé qui l'avait accueilli lire la lettre qu'il leur envoie du centre où il vient d'être placé. La lettre d'un petit garçon à des gens affectueux qu'il ne reverra peut-être jamais.
Et c'est une bouleversante lettre d'amour.

coupigny
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le 18 déc. 2014

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coupigny

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