Le film noir est à géométrie variable. Alors qu’il se plait souvent à montrer comment un quidam met le doigt dans un engrenage dont il ne mesure pas la puissance fatale, il peut aussi investir des terres plus retorses, notamment dans le milieu criminel. L’ancêtre du genre est d’ailleurs le film de gangsters, genre prolifique dans l’ère du Pré-Code durant laquelle James Cagney fit ses preuves avec le personnage iconique de L’Ennemi Public. C’est avec la même hargne, aidé de sa trogne aussi singulière qu’inimitable qu’il aborde ce nouveau rôle : celui d’un malfrat qui sait jouer avec la loi, la contourner et la retourner à son avantage, au point de décider par lui-même d’aller en prison, s’accusant d’un braquage qui lui donne un alibi lui évitant une condamnation à mort dans une autre affaire.
La force du film de Walsh est de propager la toxicité du personnage sur son entourage, notamment à travers un superbe rôle donné à sa mère et à la relation pathologique qu’il entretient avec elle. Inspirée de Ma Barker, grande figure maternelle du banditisme sous la prohibition, la génitrice pousse vers des dimensions de tragédie grecque une intrigue qui sans elle n’aurait rien eu de bien original. A l’origine du mal, elle souffle sur les braises et couve dans le crime son fils qui la vénère et la suit aveuglément. Le nœud se resserre encore par l’interaction avec l’épouse, femme fatale qui va contribuer à la gangrène galopante, et dont la manifestation va aussi prendre la forme de crises violentes qui scient le crâne du protagoniste.
White Heat, le titre original, traduit bien cette atmosphère étouffante et douloureuse : on commence par un accident (la vapeur d’un train qui défigure un comparse qu’on abandonnera à son triste sort), avant de remonter à une dimension plus métaphorique du mal, sous la forme de brusques ruptures qui laissent à penser que le personnage qui reste toute sa vie en position de fils encaisse davantage qu’il ne peut en endurer en dépit des apparences de gros dur qu’il s’est construit.
Alors que la dimension policière de l’intrigue tourne à plein régime par un jeu d’infiltration policière en milieu carcéral, et une belle scène de filature à trois voitures avant le recours à un signal radio qui permet de rebattre les cartes de la présence des enquêteurs, l’amour et l’amitié explosent sous les coups de boutoirs de la trahison, des faux semblants, du chantage et de l’avidité.
Le final, qui semble annoncer Le Coup de l’escalier de Wise dix ans plus tard, prolonge ces explorations métaphoriques : dans cette zone industrielle bardée de tuyaux aussi nombreux que les remparts de sa folie croissante, le gangster semble se déplacer dans un cauchemar matérialisé, jusqu’à provoquer l’arrivée de l’enfer sur terre : point d’orgue de cette grande cavale malade, un brasier purificateur qui donne une nouvelle et définitive occurrence à titre décidément sans appel.