Mars et Vénus réussissent ensemble
Alors que les bons pepla ne sont pas légion (aha!), il est curieux de voir celui-ci si mal noté.
Il est vrai qu'il rassemble de nombreuses caractéristiques du nanard, au sens noble du terme.
Tout d'abord, les décors et les costumes proclament qu'il a été fait avec peu de moyens* (l'unique plan large de Rome nous montre que la ville s'étend sur septante mètres carrés au maximum, les "armures" sont suggérées par les motifs peints sur les vêtements, etc.). Ensuite, les combats sont mous et peu convaincants et, assez souvent, le jeu des acteurs évoque une pièce de théâtre amateur. Ceci n'est d'ailleurs pas étonnant si l'on considère que l'écriture des personnages manque parfois un peu de finesse et que leurs motivations sont quelquefois difficiles à cerner. Enfin, le film nous dépeint une antiquité de carton-pâte, avec un souci archéologique proche de celui de Nicolas Poussin ou Jacques-Louis David lorsqu'ils abordent le même "événement".
Malgré cela, l'Enlèvement des Sabines est un film éminemment sympathique, dont la qualité première, si rare dans le genre auquel il appartient, transcende les défauts.
En effet, L'Enlèvement des Sabines pratique avec brio le second degré, alors que le peplum est généralement solennel (Ben Hur, Spartacus, Troie, etc.) ou occasionnellement bouffon (Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, Mission Cléopâtre, etc.).
L'Enlèvement des Sabines ressemble au contraire à un bon Astérix: par-delà un thème antique, l'auteur nous adresse des clins d'oeil qui nous font sourire. Pas hurler de rire en se tapant sur les cuisses. Non. Esquisser un sourire entendu, presque complice.
Deux exemples tirés d'une manne considérable:
LE ROI SABIN à l'ambassade romaine: Si vous croyez que c'est si amusant que ça, le mariage!
LA REINE SABINE tambourine des doigts sur l'accoudoir de son trône.
LE ROI SABIN le visage décomposé: ... Sauf, heu, bien entendu, quelques cas exceptionnels!
ROMULUS: Combien y a-t-il de Phéniciens?
L'ECLAIREUR: Une cinquantaine.
ROMULUS, se précipitant: Vingt hommes avec moi!
Romulus s'arrête et se retourne vers le grand-prêtre.
ROMULUS: Comment sont les auspices?
LE GRAND-PRETRE regarde un instant le pigeon qu'il tenait dans la main: Pas fameux.
ROMULUS: Cinquante hommes avec moi!
Cette légèreté de ton permet d'aborder les thèmes principaux du film avec une fraîcheur et une naïveté bienvenues. Car il s'agit ni plus ni moins que de choisir entre Mars et Vénus, entre la guerre et l'amour, ou, plus exactement, de garantir l'avenir guerrier de Rome par une hyménée pacifique. Aborder un tel thème de manière solennelle aurait été la garantie d'un film moralisateur et pompeux... ce que n'est pas l'Enlèvement des Sabines, dont les composantes tragiques (interventions divines, trahisons, justice immanente) sont ainsi atténuées au profit d'un divertissement malin et léger, qui évite également l'écueil de la farce grossière**.
A cet égard, la scène durant laquelle interviennent Mars (Jean Marais) et Vénus (Rosanna Schiaffino) est exemplaire. Deux divinités se disputent le sort d'un mortel inconscient de leur présence. La destinée de Rome et la fatalité des hommes sont évoquées, mais en définitive, ces immortels nous apparaissent comme foncièrement humains. Vénus rappelle non sans fierté l'amour que lui a voué Mars, alors que ce dernier cherche à minimiser l'ascendant que son aimée a eu sur lui, l'échange restant de bout en bout badin.
C'est ce caractère bon enfant qui confère à L'Enlèvement des Sabines un statut un peu à part au milieu des Maciste, des Cléopâtre, des Pompéi et autres Gladiator... et qui en fait un film digne d'être vu avec bienveillance.
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*Peut-être l'essentiel du budget est-il passé dans une distribution prestigieuse.
**Ce qui n'exclut pas un comique moins cérébral, tout particulièrement avec le personnage de Mezzio, le Romain myope.