Nuits debout

J'ai vu L'époque : un documentaire aux allures de fiction visuellement fascinante, fantasmée presque. Matthieu Bareyre, filmeur noctambule, poète souterrain, embarque sa caméra dans les rues de Paris de 2015 à 2017, de Charlie jusqu'à Macron, rencontre après rencontre, nuit après nuit...

Au son d'une Follia vivaldienne le réalisateur capte une urgence en mouvement, une parole abrasive, véhémente, colère souvent. A travers le prisme résolument humain des personnes filmées - autant d'anonymes capables de vitalité et d'intelligence - Matthieu Bareyre laisse clairement transparaître les préoccupations politico-économiques des dirigeants hexagonaux : psychose terroriste, injustices potentielles mêlée de bavures et d'intimidations policières, déshumanisation des forces de l'ordre, instauration de la loi El Khomri, société des loisirs à la fois exacerbée par les uns et critiquée par les autres...

Principalement articulée autour de la jeunesse parisienne et ses humeurs diverses L'époque parle entre autres choses des violences sociales et des aspirations à un avenir meilleur pour tout un chacun. Doué d'un regard authentique et délibérément singulier Matthieu Bareyre ne s'expose jamais devant l'objectif, préférant rester en position de témoin sensible et réceptif. Les jeunes dudit documentaire - allant de la figure flamboyante de Rose à des étudiants en école de commerce en passant par des slameurs en pleine effervescence - sont aussi vrais que la réalisation demeure efficace et la narration intelligemment ramassée.

Une oeuvre brûlante, terrible mais aussi d'une poignante beauté formelle et existentielle, à l'image du grand Joli Mai tourné il y a maintenant près de 60 ans. L'époque c'est ça : du Marker puissance 2016 déterrant les paroles des caniveaux, des feux rougeâtres et des sirènes oppressantes témoignant d'un cauchemar envahissant mais heureusement conscientisé par la chose-publique. Pour une France lucide, pour une France autrement. Magnifique.