« L’esclave blanche » est sans doute le film qui se distingue le plus de la production cinématographique orientaliste très en vogue avant la guerre 39/45. L’action se situe à Constantinople au début du XXème siècle, période trouble où l’Empire Ottoman vacille. C’est à ce moment précis que Vedad Bey, diplomate turc, décide d’y retourner vivre, après un long séjour à Paris. Il s’y installe avec Mireille, une française qu’il a épousé. Et tout le film sera axé sur Mireille, qui a du mal à s’acclimater aux traditions locales, où la liberté de la femme est pour le moins bafouée. Elle va mener à sa manière une fronde et provoquer le trouble dans les esprits.
Il est surprenant de constater combien ce film était alors avant-gardiste, loin des clichés et préjugés en tous genres que l’on retrouvait dans ce genre de production, où le héros occidental écrase de sa culture des peuples prétendument incultes, Sorkin nous offre au contraire une plongée vériste dans l’esprit de la ville d’Istanbul, en pleine ébullition. Le combat féministe de Mireille est crédible, tout autant que les répercussions qu’il provoquera. Le choix de la Turquie n’est pas neutre d’ailleurs, car il fut l’un des premiers pays à imposer le droit de vote pour les femmes en 1923 après la révolution kémaliste.
Cette particularité mise à part, le film reste assez inégal, presque bicéphale. Cela tient à la collaboration imbriquée de Marc Sorkin et de Georg Wilhelm Pabst en superviseur. Le premier fut son monteur privilégié et assistant, le second, réalisateur audacieux de « Loulou » et « L’opéra de quat’sous ». On ne sait quelle part Pabst a pris dans la mise en scène, mais certains plans semblent tout droit sortis de son esprit (la découverte de l’électricité au palais par le sultan par exemple). Ce qui pose également souci dans la tenue du film est l’interprétation. Viviane Romance, en femme téméraire en impose et y excelle, le reste de la distribution est bigarré entre surjeu et affectation. Exception faite de Saturnin Fabre et de la jeune Louise Carletti.
L’ensemble des décors est impeccable, les intérieurs de palais bien choisis, la reconstitution du harem très proche de ce que l’on en voit sur les photographies d’époque, meubles et accessoires de qualités sans être kitsch sont cohérents.
Enfin, notons la très belle partition de Maurice Jaubert (« L’Atalante », « Quai des brumes »), que François Truffaut adorait au point d’utiliser ses partitions dans quatre de ses films, qui de notes chaudes et suaves aux accents plus graves couvre le film d’une certaine élégance. Le même Jaubert, qui a signé la bande originale de « Carnet de bal » et dont « La valse grise », me trotte souvent dans la tête depuis ma tendre enfance et qui a inspiré à Barbara l’une de ses plus belles chansons…
Musique de "Carnet de bal"
https://www.youtube.com/watch?v=6bPhorjsoZo&index=12&list=PLWoyjXn8oYQ7lBGByN_Bg9Eff_QdtoIHK
"La valse grise" par Barbara
https://www.youtube.com/watch?v=V4qQ8wjS5RY