La caméra, la vraie arme de destruction massive

Première chose à préciser: quand j'ai vu le film, je ne connaissais pratiquement rien de Wenders. Je n'avais vu que Les Ailes du Désir, qui était sublime, mais ça ne me donnait pas nécessairement une idée de ce que serait sa "patte" dans le reste de sa filmographie, composée d'éléments semblant tous si différents des uns des autres.


La quatrième de couverture du DVD laissait présager un huis clos cynique, blindé de drame et d'humour, dans lequel une équipe de tournage américano-européenne attendrait indéfiniment , au Portugal, le retour de leur producteur, jusqu'à probablement péter les plombs.


Ça n'était pas du tout ça. Et ma surprise est passée par tous les états (des choses... c'est tout pour moi, merci) durant ce film.


Les 10 premières minutes sont en réalité tirées du film que les personnages eux-mêmes tournent. Dix minutes. Malgré la longueur d'une telle introduction, ça ne m'a pas dérangé, un pari osé et réussi puisque la tension et le mystère augmentent progressivement et le tout nous intrigue de plus en plus.


Ensuite, la première partie du film: l'attente (au Portugal, donc) de Gordon, le producteur.
Là se trouve le principal défaut du film: sa longueur. Totalement voulue et peut-être nécessaire pour retranscrire cette attente interminable, accompagnée d'une musique oppressante, de scènes où la frustration est reine, durant lesquelles les personnages n'arrivent pas à dormir ou deviennent à moitié fous (ou complètement tarés, pour certains).


Quelques scènes pratiquement incompréhensibles, je pense notamment au moment où Friedrich, le réalisateur rencontre le scénariste dans la maison abandonnée de Gordon et s'ensuit un échange à peine déchiffrable pour le spectateur (même si je n'étais peut-être probablement pas suffisamment attentif à ce moment-là).


C'est là qu'arrive la deuxième partie, qui casse à la fois avec le "genre" dans lequel le film versait jusque là (huis clos), pour virer sur une sorte de pseudo-noir au sein du milieu hollywoodien : Friedrich, le réalisateur du film, décide d'aller chercher Gordon lui-même aux États-Unis, à Los Angeles. L'histoire commence à prendre un tout autre sens, se dirigeant vers une féroce critique, voire une féroce satire d'Hollywood.


Ce véritable moment de rupture dans le film est décelable à tous les niveaux: même le thème principal, jusque là oppressant et gênant, évolue vers un funk bien 80's... J'en profite pour préciser que cette bande son est magique.


Toute la seconde partie s'articule autour de la recherche de Gordon, puis des retrouvailles entre les deux personnages.


C'est à ce moment-là que nous découvrons que Gordon s'est vu forcé de se cacher car les investisseurs du film, un groupe de mafieux, ont été déçus d'apprendre que celui-ci serait tourné en noir et blanc, ce dont ils n'avaient pas été informés quand ils avaient investi d'importantes sommes d'argent dans la dite production. Gordon essaie donc de quitter au plus vite la ville, caché dans la caravane d'un ami à lui, avec Friedrich qui vient se taper l'incruste pour l'écouter parler et lui expliquer la situation. Nous apprenons à ce moment là également que c'est le scénariste qui aurait payé d'avance une grande partie du film et non pas Gordon, en piochant dans son compte en banque personnel.


Cette suite de scènes est précisément ce qui rend le film magique. C'est à ce moment-là que nous entrons dans une subtile mise en abîme, un propos méta lourd de sens. La difficulté d'un réalisateur européen à tourner du noir et blanc dans les années 80, de le produire et le distribuer sans devoir tourner le dos aux milieux tels qu'Hollywood. La façon dont les producteurs et les investisseurs du film s'immiscent de manière parfois indésirable dans le processus de création. La dispute entre deux concepts qui peinent parfois à trouver un compromis: l'industrie et la création artistique.


Tout ceci se précise dans un climax final magnifique, que je mettrais sous spoiler si jamais vous souhaitez garder la surprise. Attention, car ça spoile à mort :


En sortant de la caravane, pensant être enfin en lieu sûr, Gordon et Friedrich se font une accolade amicale, lorsque soudain Gordon se fait tirer dessus (probablement par les mafieux l'ayant poursuivi jusque là). Et dans un plan accompagné d'une musique grandiose, Friedrich, à côté du corps de son producteur, brandit sa caméra comme une arme.


Un film donc qui souffre terriblement au début de ses longueurs, qui finissent toutefois par prendre leur sens dans la deuxième partie de l'histoire. Un film auquel j'ai rajouté des points au fil des jours qui sont passés après l'avoir visionné, car c'est le genre de film qui reste dans votre tête, et qui au fur et à mesure, vous rappelle à quel point "en fin de compte, c'était vraiment pas mal en y repensant".


N'hésitez pas à partager également votre avis dessus, nous manquons terriblement de critiques pour L'état des choses.

JeanNeige
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le 1 janv. 2016

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J N

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