Le cinéaste, dont c’est le premier long métrage, prend le parti de ne jamais situer temporellement cette balade à deux, la rendant suspendue, hors du temps, hors de tout. On ne reconnaît pas plus l’Italie que l’on ne sait ce qui anime avant cela cette relation. Dans les premiers plans, qui constituent une longue marche en forêt, pieds dans la boue en évitant ronces et pierres, Giacomo et Stefania pourrait très bien être amants comme frères et soeurs. La bonne idée du film est de ne jamais répondre à cette question autrement que par leurs gestes et leurs mouvements. Ce n’est que cela qui guide cette journée. D’abord au plein coeur d’une nature insituable, entre jungle Fidjienne et étendues d’eau Ardéchoise, avec à la clé plongeons et batailles de sable, puis dans une pièce inconnue (une maison ? Le chalet croisé quelques temps plus tôt ?) où une pulsion désordonnée de chants et de batteries vient créer un courant d’énergie fascinant, ou plus tard dans une fête foraine (chaises volantes) qui devient champêtre (danse improvisée sur de la variétoche) avant de s’achever en feu d’artifice. La même journée ? On ne sait pas non plus. Le lendemain, cette errance exaltante se poursuit : on fait du baseball avec un bâton et des châtaignes, la roue au milieu d’un champ, avant de crier dans des champignonnières délabrées puis c’est le retour à ce point d’eau idyllique, lac bleu turquoise. Ce sont Les naufragés de l’île de la tortue mais à deux, quelque part entre Blissfully yours et Un amour de jeunesse. Puis une discussion, la première, sérieuse, qui vient casser ce climat d’insouciance, de joie hystérique, de rires et de chamailleries. Stefania reproche à Giacomo son insatisfaction, lui dit que le bonheur se trouve dans les petites choses. Le film pourrait tout à coup s’alourdir, on le craint. Mais il repart. Une fuite sur un vélo et on croit que le film se termine. Au plan suivant, des lieux pas familiers mais ressemblants, Giacomo et une autre fille, Barbara. Alessandro Comodin a confiance en son cinéma, il n’y a pas de gras, pas de facilités, tout est à construire, à imaginer. La force du film est de ne pas faire de la surdité de Giacomo un thème ou un point d’ancrage, c’est juste une esquisse, quelque chose qui fait partie du personnage et qui apparaît subtilement dans cette balade insouciante. Au début, Giacomo est sourd, Stefania ne l’est pas. A la fin, il semble guéri, c’est Barbara qui est sourde. Cela pourrait être une charge symbolique sur appuyée mais ce n’est seulement qu’un croisement entre la fiction et le documentaire. Giacomo et Stefania c’est la fiction, la déambulation amoureuse singulière, maladroite, ludique, innocente comme l’entend le cinéaste. Les dix dernières minutes avec Barbara c’est le réel, tournée beaucoup plus tard, une fois que Giacomo a subi une intervention lui permettant de recouvrer son ouïe. Dans chaque cas, une idée de cinéma qui répond à l’autre : une fuite en vélo silencieuse et musicale puis le monologue en off d’une voix féminine qui dit profiter de ces moments avant qu’ils ne disparaissent. A l’image de cette immaturité qui nourrit chaque scène ou même de façon plus marquée ces essais de batterie anarchiques, le film se concentre sur la fuite, sur la suspension, il ne s’intéresse ni à l’avant ni à l’après, mais est conscient de ce qu’il raconte, de sa fragilité, sa parenthèse éphémère.