Une régression solaire vers la poussière du monde
par Murielle Joudet
Au départ, c'était un documentaire sur Giacomo, Giacomo qui est le jeune frère du meilleur ami d'Alessandro Comodin, et qui allait subir une lourde intervention chirurgicale pour retrouver l'ouïe. De cette masse documentaire dont il devait sacrifier la plus grand part (passage chez l'orthophoniste, etc.), Comodin a choisi finalement de tirer le récit d'un été erratique entre deux adolescents - Giacomo, donc, et son amie Stefania, qui est elle-même la soeur de Comodin. La surdité n'est plus qu'évoquée au détour d'un plan, le premier, qui voit Giacomo se défouler sur une batterie et, tournant la tête, révéler son implant cochléaire.
De l'aveu de Comodin, Giacomo parlait de cette opération comme d'un miracle. Et c'est comme si, filmant son été dans la campagne italienne, Comodin l'avait pris au mot, comme si avec l'ouïe Giacomo avait retrouvé la totalité du monde et des sensations et que le film, dilatant le miracle, l'étendait à tous les sens, filmant la nature comme s'il s'agissait de la voir, l'écouter, la toucher pour la première fois. Entre acuité et gaucherie, jouissance et inconfort, Giacomo et Stefania se fraient un chemin dans la sensation, dès la première et splendide scène dans la forêt, long couloir rééducatif vers une attention retrouvée à ce qui arrive au corps : épines, orties, papillon bleu, eau boueuse, ça pique, ça gratte - « nature de merde ! », crie Giacomo.
La durée longue des plans n'a ici rien de documentaire, il s'agit plutôt de chercher à capter le temps que met un corps pour s'installer et pour jouir : de l'eau, de son repas à l'ombre, de la musique, d'une danse, d'un tour de manège, d'une brindille qui chatouille. Stefania et Giacomo barbotent dans la viscosité des éléments, boue, lumière, sable, eau - du bout des yeux on devine les odeurs, on palpe les textures. L'Eté de Giacomo donne ainsi l'impression d'une régression solaire vers la poussière du monde, d'un emboîtement de chairs dans lequel on se glisse comme dans une couverture chaude et moite. Et ce ravissement, qui donne le sentiment que le soleil bat depuis l'écran, le film le doit, outre au super 16 (qui redonne à l'image sa dimension d'empreinte lumineuse, de petite peau affectée par la lumière, comme la peau qui pèle sur les épaules de Giacomo), à la mise en scène sobre et ingénieuse de Comodin, et à son sens très sûr du rythme. Serrée contre le duo, perdue avec eux dans la forêt, ballotée par le manège érotique et les confidences qu'elle capte, la caméra est un autre corps, un troisième compagnon silencieux. (...)
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