Je ne serais pas capable d'écrire quoi que ce soit sur L'été du démon sans parler de son histoire et de sa fin. Vous voilà donc avertis que cette critique contient des SPOILERS massifs, et que si vous n'avez pas déjà vu le film, vous feriez mieux de vous donner les moyens de vous le procurer !


Dès l'ouverture, à titre personnel, je ne pouvais qu'être séduit. On identifie immédiatement le cinéma des années 70 dans l'image, et le soin apporté à la photographie n'est à aucun moment en reste. Mais surtout, en connaissance du synopsis, dès la première scène et contre toute attente ce sont pour moi les enfants et surtout Riichi, l'aîné, le(s) protagoniste(s) principal(aux).


En effet, même si tout est fait pour nous permettre de comprendre (sans les excuser) les comportements des trois personnages adultes principaux (la maîtresse, le père et l'épouse), là où Nomura réussit en premier lieu son message c'est en nous montrant à quel point les individus sont faibles face à leur propre propension à la cruauté si on les place dans un contexte défavorable, avec comme simple première excuse commune "pas assez d'argent". Considérant le caractère peu convaincant de ce motif qui n'est jamais vraiment mis en évidence dans le récit (personne ne voit d'inconvénient à ce que le père ne travaille pas pendant plusieurs jours, apparemment ?), j'en suis venu assez rapidement à éprouver une sorte de haine pour presque tous ces personnages adultes du film.


Néanmoins, les raisons qui motivent leurs faiblesses participent à la construction du film et donnent du sens à leurs différentes cruautés, plus en tout cas que dans un film où c'est le sort qui semble bêtement s'acharner (comme dans The Painted Bird par exemple, qui en devient inoffensif d'absurdité). La maîtresse abandonne ses enfants à leur père parce qu'elle se sent flouée et bafouée dans son honneur, plus que parce qu'elle ne supporte plus ses enfants. L'épouse ne voit les enfants que comme une preuve vivante qu'elle a été trompée pendant sept ans (encore une question d'honneur). Le père, lui, est partagé mais en essayant de retrouver sa maîtresse apprend qu'elle voyait "un homme" (dont personne ne donne de signalement) et commence je le crois dès ce moment à céder aux arguments de sa femme et à douter de sa propre paternité, ce qui le place dans l'hypothèse où ses enfants sont des étrangers et des parasites, en plus d'une vengeance de sa maîtresse qui se serait moqué de lui pendant sept ans également.



Papa, j'ai raté l'ascenseur



Les enfants sont les boucs émissaires de ces trois adultes et c'est parce qu'on sait ce qui motive leur cruauté qu'elle semble tangible. J'ai vite commencé à vivre L'été du démon comme un film d'horreur dans lequel les enfants devaient survivre assez longtemps pour que quelqu'un se rende compte de qui est en train de se passer, et que le père et sa femme soient d'une façon ou d'une autre arrêtés. Le film arrive très sobrement à nous faire comprendre que les enfants ne sont jamais totalement dupes de ce qui se trame (avec les regards par exemple) et du coup l'aspect "thriller" d'après Senscritique que je vois comme de l'horreur et l'aspect dramatique apparemment propre au style de Nomura se marient extrêmement bien. La scène d'ascenseur est terrible mais celle où on essaie de forcer un enfant à manger à deux reprises n'est pas en reste et m'a personnellement terrifié par sa brutalité inattendue.


L'ensemble est efficace sur plan dramatique grâce à une multitude de petits éléments, comme la musique et son utilisation qui fonctionnent très bien, mais aussi le fait que le film tue les personnages sur plusieurs plans, dans le sens où ils sont supprimés du récit ou de sa continuité. Le doute qu'instille le film en ne montrant ou n'expliquant pas du tout certaines choses, avec l'atmosphère du film, ne peut nous laisser imaginer que le pire à chaque fois. Oui, c'est très gênant et triste qu'on n'apprenne jamais ce qui arrive à Yoshiko... mais je suis presque aussi mal à l'aise de voir que le film cherche à ce qu'on ne comprenne pas vraiment pourquoi le bébé est mort : on a l'impression qu'il a été délibérément étouffé mais le médecin dit que c'est la malnutrition, et encore, il le dit en hors-champ ! De même que la mort elle-même, qui est donc double à cause des deux motifs différents.



Chérie, j'ai refroidi les gosses



Mais c'est le dernier quart qui amène vraiment le film au sommet. Après la scène du zoo et une discussion à la limite du grand-guignolesque sur la meilleure façon de tuer Riichi, il y a toute cette partie où le père a l'air de chercher une falaise adaptée pour le pousser en contrebas. Mais comme ça ne fonctionne pas bien et qu'en fait il se retrouve à juste passer du temps avec son fils, on a ce moment où il raconte sa vie et où on comprend pourquoi ses réactions peuvent sembler un peu incohérentes : en dépit de ses doutes et de ses excuses, le père se rend bien compte tout du long de l'ampleur de sa propre cruauté et de l'horreur qu'il essaie de commettre (jusque là il n'a encore tué personne au sens littéral). Ce passage est terrible parce qu'il est là selon moi non pas pour susciter de l'empathie pour le personnage mais pour nous donner l'impression qu'il a une chance de rédemption et de renverser la balance. De même lorsque, alors que son fils commence à peine à lui faire confiance, il a peur que celui-ci tombe de la falaise. Tout ça uniquement pour nous montrer qu'en dépit de cette prise de conscience, il va profiter de la première occasion venue de céder à sa propre faiblesse et essayer de le tuer dans son sommeil.


J'insiste sur le terme essayer parce que c'est sans doute la scène que j'ai trouvé la plus intéressante du film, en cela que quand il essaye il ne le jette pas en bas, et c'est sur un plan de dos qu'on le voit vraiment laisser tomber Riichi, voire juste baisser les bras, dans tous les sens du terme. Au point où j'ai eu l'impression qu'il le laissait tomber sur le sol face au bord du gouffre, renonçant au meurtre. La fin n'en fonctionne que mieux avec l'ambiguïté qui est développée sur pourquoi Riichi ne dénonce pas son père : les enquêteurs tentent de nous laisser croire qu'il pourrait le couvrir parce qu'il le "comprendrait", mais c'est bien sûr parce qu'il le renie en tant que père et le condamne.



Plus dure sera la chute



C'est ici l'excellent début du retour de bâton : le père meurt en tant que père au moment où il rampe aux pieds de son fils en s'excusant, ce qui constitue un aveu et mène à son arrestation. Le film ne s'attarde plus sur son sort et ne revient plus sur l'épouse, qu'on imagine difficilement s'en sortir aussi facilement. Le film se conclut sur Riichi qui est emmené ailleurs, accompagné évidemment d'une mensongère promesse de revoir sa mère bientôt, parce qu'une fin optimiste après un tel cheminement est impossible pour lui malgré sa survie. Cela complète au passage le portrait des personnages adultes censés être responsables, dont finalement aucun n'est à sauver.


Cette fin me conforte évidemment dans l'idée que Riichi est le personnage principal du récit, en se clôturant sur son destin à lui, aussi indéfini et pessimiste soit-il. Elle contribue à rendre L'été du démon marquant en tant que tel. C'est un visionnage dont on se remet difficilement, surprenant dans sa noirceur en comparaison avec le passionnant Vase de sable de Nomura. C'est une oeuvre éprouvante aussi et surtout parce que l'écriture et le jeu des acteurs sont crédibles. Une sorte de Lars Von Trier en ce que ça dit sur la nature humaine, mais avec moins d'artifices, plus de réalisme, et donc bien moins inoffensif...


Un grand merci à Anyore et à TheBadBreaker pour leurs idées de titre de critique.

Lyusan
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le 21 janv. 2021

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Lyusan

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