Par avance je m'excuse pour cette critique désordonnée, déstructurée, et sans doute bien loin d'être assez réfléchie, mais il est extrêmement rare qu'un film me donne envie d'écrire à son sujet directement après le visionnage, suffisamment rare pour qu'exceptionnellement, je cède à ce caprice intime et couche ma pensée, probablement encore plus enrobée que de coutume d'un fatras bordélique de considérations plus ou moins pertinentes, de contexte peu utile et sans doute d'autres facéties imprévues dont je n'ai pas le secret. Cela dit, si il y a bien une oeuvre qui me semble, de tout ce que j'ai visionné dans ma courte expérience cinéphagique, propice à une diarrhée verbale spontanée autant que sincère, c'est bien La Maman et la Putain.
Oeuvre totale de bien des excès, le métrage représente à mes yeux bien plus une expérience cinématographique qu'un film - distinction totalement infondée j'en conviens - tant il parvient à synthétiser ce que je conçois comme de l'anti-cinéma. Et pour cause : une mise en scène absente, des dialogues écrits et déclamés (surtout par Jean-Pierre Léaud parfois insupportable de surjeu), une poésie bien trop fugace, une atmosphère qui se délite à tous les instants succédant ceux où elle se crée, et même encore, un fond qui se contredit lui-même en permanence, pour aller dans une seule direction : l'absurdité, la déliquescence des moeurs, des relations humaines, de la pensée.
Jamais une oeuvre ne m'avait fait à la fois : m'interroger autant sur ce que je considère comme étant, de mon modeste point de vue, le cinéma, me donner de la tendresse pour les films de Rohmer, m'offrir à la fois, la consternation, l'ennui le plus profond, le fou rire le plus compulsif, de la tendresse, un peu de dégoût, ou encore me donner envie de m'affranchir de mes réticences et de croquer la Nouvelle Vague de plein fouet, que je ne connais encore que bien trop peu, ne serait-ce que pour me positionner, ne serait-ce que pour mieux comprendre ce que je considère comme le cinéma, jusqu'à mieux me comprendre moi-même. Ne serait-ce que pour aimer encore plus le cinéma que j'aime par simple contraste.
Eustache le dit lui-même : "Je préfère, dans un film fait sur la parole, filmer le récit de l'action, que l'action." et il faudrait certainement être un peu fou pour le lui reprocher.
Pourtant je n'ai pas pu pendant les trois heures trente du métrage me détacher de l'idée que le récit que propose le film, qui ne touche jamais vraiment à l'universel tant il reste pétri de nombrilisme, de cynisme (et de tendresse tout à la fois) vis à vis de son époque et même de lui-même, n'importe qui aurait pu l'écrire. En fait, je suis presque certain que si j'écris un scénario pendant quatre jours en me maintenant en état d'ivresse quasi-constant, j'arrive à peu près au même résultat, avec son lot de scènes drôles sans contexte, de répétition infatigables, de conflits merdiques comme le dit si bien Véronica, interprétée par Françoise Lebrun, qui n'a, selon ses propres mots, accepté le rôle que pour la "performance" que celui-ci représentait.
Autrement dit, La Maman et la Putain est une oeuvre - si ce n'est certainement pas la seule dans ce cas, elle fait en tout cas certainement figure d'exemplarité en la matière - écrite par un réalisateur qui veut filmer du récit au lieu d'en rester au texte (peu avant il n'était, selon ses propres mots, "pas sûr que le cinéma soit vraiment son truc"), pour des acteurs qui jouent pour se regarder jouer, se regarder lire un texte qui lui-même ne gravite autour d'aucune autre réalité que la sienne-propre.
On comprends dès lors aisément l'effort requis pour s'intégrer au projet en tant que spectateur (tout autant que les gens qui ont hué sa récompense à Cannes en 73), surtout lorsque le film ne commence à développer son panel d'attributs - tant dans les ressentis qu'il procure que dans les discours péremptoires qu'il véhicule - qu'après quarante-cinq minutes d'échanges rébarbatifs et presque totalement dispensables au reste du récit.
Le fond du film, pour sa part, quand il n'est pas d'une totale vanité, va à l'encontre des genres censés être ceux du film : de drame il n'y a en vérité la moindre goutte ; de romance - et d'amour - encore moins, si ce n'est peut-être du personnage pourtant brusquement lucide, légitimement désoeuvré et sainement répugné de Véronica, dans son monologue qui conclut presque le tout, ne pouvant toutefois se prémunir contre le cynisme du film conférant une subjectivité tout à la fois définitivement humaine autant que risible au personnage, qui affirme que "l'amour n'est présent que lorsque le couple désire un enfant", discours qui vient au passage suppléer à une courte diatribe faite bien plus tôt, d'un autre âge, mais tout de même répugnante, contre l'avortement. N'attendez pas plus d'érotisme dans le désir exprimé par moments : à la place, vous rirez du cynisme désacralisant manifestement à peu près tout.
Maintenant, malgré tout ça, je comprends très bien que ce film, dont l'originalité produite par ses nombreux contrastes n'est pas à mettre en question, pas plus que la beauté qui surgit inopinément de certaines scènes, de certaines phrases (par exemple je pense pas, en quatre jours d'alcool, parvenir à quelque chose comme "la blonde slave s'éclipse", certainement la plus belle réplique à mon sens, bien plus que les pseudo-grandiloquences sur le faux, la mort et le cinéma) puisse être adoré. De fait, je conçois même parfaitement qu'on puisse considérer l'oeuvre comme un chef d'oeuvre, et si je devais adopter une posture un brin différente, je reconnaîtrais le caractère unique de la démarche, de l'expérience procurée, et je mettrais au minimum neuf sur dix.
Mais je ne peux pas m'empêcher de penser, au-delà de tous les défauts proéminents et des qualités indéniables de l'oeuvre, que celle-ci ne peut s'apprécier, pour le spectateur, quel qu'il soit, qu'en dépit d'elle-même, à partir du moment où nous ne pouvons nous attacher aux personnages que malgré l'inconsistance de leurs logorrhées, que malgré leurs jeux à peu près aussi mauvais les uns que les autres, malgré la vanité et le nombrilisme qui se prend pour de l'intimisme d'Eustache. A partir de là, qu'est-ce qui distingue profondément La Maman et la Putain d'une sorte de nanar extraordinaire ? Eh bien, à mon sens, pas grand chose. Et c'est pourquoi je lui donne une notation nanardesque digne de ce nom, dont je n'ai pourtant pas l'usage habituel.
Sinon, je ne recommande pas ce film, malgré l'expérience, car je le considère comme tout aussi dispensable qu'indispensable, et que chaque individu a autant de chances, selon moi, de sombrer dans l'ennui le plus total, de rire tout en en étant exaspéré comme moi, ou de parvenir à en surmonter complètement les absurdes embûches pour apprécier le plus possible la richesse de l'expérience.
Toutefois, si le film ne parvient jamais vraiment à parler d'amour (ce qui m'a donné donné d'autant plus envie de voir et de revoir du Rohmer, où la tendresse prédomine souvent et sert le discours et une réflexion sur ce sentiment le plus élévateur), il doit être particulièrement approprié de voir La Maman et la Putain en couple, voire, en faisant l'amour en même temps. J'irais même jusqu'à dire qu'Eustache aurait pu concevoir le film comme consommable de cette façon, tant garder les yeux sur l'écran n'a jamais été, pour moi, aussi dispensable. Vous apprécierez d'autant plus votre relation amoureuse en constatant à quel point il est facile d'échouer dans une médiocrité consternante à la fois en tentant de croire fictivement qu'on est amoureux, mais aussi de retranscrire toute la beauté et la complexité d'un tel sentiment, surtout au travers de relations toutes plus merdiques les unes que les autres.
Et c'est sur cet hommage peut-être involontaire que ma pensée va s'achever. Sur le constat implacable qui transcende toute La Maman et la Putain : l'Amour vaut seulement d'être vécu, jamais d'être conté.