Si, au cœur de ces trois heures et demi de maelström sentimental, on rate cette phrase (celle de mon titre), lâchée par un Alexandre visionnaire, on passe peut-être à côté de l'essentiel. Il proclame ces quelques mots juste après avoir avoué: "plus on parait faux, plus on va loin".
Du coup, on est bien obligé de se demander si Jean-Pierre Léaud ne serait pas le meilleur acteur du monde. Si c'est le cas, c'est simplement dommage que ses metteurs en scène n'aient voulu l'employer que dans ce registre magnifique.
Si je ne peux me résoudre à classer l'essai dans la catégorie chef-d’œuvre, tant ses imperfections sont légions, je ne peux lui retirer une profusion emmêlée de dimensions, de directions, qu'il est bien délicat de dénouer, de distinguer, jusqu'à se demander, en fin de compte, quelles idées principales sous-tendent l'ensemble.
La maman et la putain, c'est tour à tour et à la fois chaste (au moins dans sa première partie), réac (presque sang-bleu), égocentré (jusqu'à en devenir universel), cynique et terriblement désabusé.
Bien sûr, je comprends parfaitement qu'Alexandre fascine autant une partie des gens qu'il m'arrive de rencontrer ou de lire sur ce site. Lui et son pote, qui se marrent en feuilletant des photos de nazis, sont intemporellement "hype" dans leurs postures réacs et cyniques, avec ces jugements à l'emporte-pièce (qui vous font vous sentir si supérieur à la masse bien-pensante des droit-de-l'hommistes), douillettement installés à la douceur d'une terrasse du café de Flore ou des Deux Magots. On peut en effet, et à peu de frais, déclamer qu'il ne faut surtout jamais compatir au malheur des autres, au contraire favoriser l'injustice, haïr la dignité, et détester les gens qui souffrent en silence.
La posture de ces connards branleurs et oisifs, tournés uniquement vers eux-mêmes, détestant leur époque, sera finalement assez raccord avec l'esprit traditionaliste de la diatribe finale de Veronica qui, enterrant une bonne fois pour toute le détestable amour libre soixante-huitard, proclame que le seul acte sexuel beau et valable est celui qui se pratique en vue d'avoir un enfant.
Il y a donc quand même un moment où l'on se met à douter de la portée véritable du propos. Au delà d'une jeunesse un peu déboussolée par une époque où les repères sont repositionnés sans véritable assurance ou goût, entendre le jeune héros haïr ceux qui ne travaillent que parce qu'il n'ont aucun talent, regretter qu'avec la perte des valeurs et des classes, on ne reconnait plus rien, estimer que "Mai 68 a œuvré contre lui" et qui ne trouve grâce que dans la musique populaire désuète (sans oublier le vouvoiement sublimement décalé), laisse un arrière-goût suffisamment curieux pour ne pas se sentir complètement transporté.
Évidemment, l'essentiel est ailleurs, dans ces considérations très écrites ("dans un mauvais film, on aurait parlé de mot d'auteur") sur les tourments amoureux, sur l'impossibilité de jamais vraiment parvenir à communiquer ce qu'on a parfois toutes les peines du monde à verbaliser soi-même. Et ce sont autant de moments sublimes et fugaces, ou tout se fige et où on entre dans une sorte de transe hypnotique, en apnée, pendant lesquels on peut croire à tout, comme au fait que Léaud, l'espace d'un instant, est un acteur sublime.
Je n'ai pas non plus encore évoqué la présence irrationnelle d'une Bernadette Lafont méconnaissable qui est toute entière transfigurée par ce rôle qui constitue le plus bel hommage qu'on pouvait rendre à son talent, presque toujours sous-employé par la suite.
A l'image de l’ambiguïté de l'époque des sentiments, ce film, somptueusement surjoué (il est important de parvenir à passer le premier quart d'heure) dans lequel on picole sans interruption, on baise souvent sans une once d'érotisme (t'as retrouvé mon tampax?), on se déchire avec affection et où l'on s'aime avec maladresse et jusque-boutisme, est traversé de trop de moments fulgurants pour pouvoir tout à fait le détester, sans pour autant adhérer complètement à ses défauts flamboyants, au rang desquels trône une longueur insolente.