Traduire Skepp Till India Land – qui n’informe que d’une destinée et de son moyen de transport – par L'Éternel Mirage place l’œuvre de Bergman sous le signe initial de la fatalité alors que cette dernière harcèle le récit sous la forme d’un vaste crescendo dramatique. Car l’encadrement d’une contemporanéité autour d’un regard tourné vers le passé permet au personnage principal, et par la même occasion au spectateur, de mettre en relation les fragments épars d’une existence pourtant tracée, tragédie dont chacun est conscient mais dont peu l’acceptent réellement. Il y a un parcours émotionnel, un être qui ferme les yeux au risque de ne plus jamais les rouvrir pour comprendre la vie et sa signification. On voit notre couple s’enlacer derrière un rideau de porte obstruant la mobilité d’une forme corporelle et du désir qu’elle traduit par la verticalité tragique de ses traits ; tout est dit, la route individuelle sera poursuivie, la violence et l’ivrognerie paternelles seront héritées jusqu’à ce que la cécité vienne tout éteindre. Plan composé dans l’entrée d’un appartement : porte et armoire de part et d’autre du cadre, au centre la bouteille d’alcool, à même le sol. Inutile de s'élever quand notre condition terrestre nous maintient au sol. Inutile de prendre un navire pour l'Inde - symbole exotique - puisqu'il nous ramènera à notre point de départ. On ressent déjà deux thématiques chères au réalisateur : d’une part la conscience d’une finitude à l’œuvre dans chaque mouvement, chaque action, chaque entreprise ; d’autre part l’aveuglement de l’individu sous l’effet de ses pulsions. Hors de ces deux réalités, le monde n’est que représentation, théâtre fauché sous ses airs de luxe, artifice auquel on revient par facilité pour gagner sa vie, pour entretenir autrui ou être entretenu. Sur son lit, lieu de naissance et de mort, lutte une folle apparente pourtant lucide sur sa condition existentielle contre le retour de l’illusion et de l’éphémère, donc de la souffrance inutile. Bergman propose un subtil équilibre entre violence et naïveté, conscience et insouciance, donnant lieu à des scènes tragiques parsemées de comique (ces deux amoureux sur la plage, nos deux femmes entourant Sally) qui dynamitent un classicisme général parfois pompeux mais mis en scène avec grandiose. Comme si la grandiloquence par l’image servait de discours muet sur la cécité existentielle.

Créée

le 15 nov. 2018

Critique lue 186 fois

Critique lue 186 fois

D'autres avis sur L'Éternel Mirage

L'Éternel Mirage
YgorParizel
8

Critique de L'Éternel Mirage par Ygor Parizel

L'Éternel mirage fait partie d'une trilogie informelle dans laquelle, à la fin des années 40, Ingmar Bergman s'inspire du Réalisme poétique et en particulier du cinéma de Marcel Carné. Le début du...

le 17 août 2024

L'Éternel Mirage
Fêtons_le_cinéma
8

Illusions perdues

Traduire Skepp Till India Land – qui n’informe que d’une destinée et de son moyen de transport – par L'Éternel Mirage place l’œuvre de Bergman sous le signe initial de la fatalité alors que cette...

le 15 nov. 2018

L'Éternel Mirage
JM2LA
8

Et ce n'est qu'un début

Conflit père/fils infirme, rapport de haine et de dégoût. Une fille entre eux vient s'ajouter. Côté réel, l'intrigue s'inscrit dans un travail de réparateur de bateaux et elle débouche, côté...

le 14 sept. 2015

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

89 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

78 j'aime

14