L'étrange ennui spectatoriel
Qu'est ce qui ne prend pas totalement dans cette Étrange Affaire Angelica? Peut-être dans un premier temps, un défaut d'adéquation entre ce que le film décrit, un amour fou, et l'éprouvé du spectateur qui ne ressent jamais vraiment la force et la démesure de cet amour.
L'étrange affaire Angelica dépeint en effet la passion qui dévore Isaac, tombé amoureux d'une morte. Cette passion impossible va entraîner Isaac dans une dépression profonde, qui va peu à peu le faire envisager sa propre mort. Manuel de Oliveira peine à convaincre sur ce thème, car Isaac est à la fois trop dessiné et pas assez. Trop pour rester une page blanche sur laquelle le spectateur pourrait projeter ses propres représentations de l'amour fou et pas assez pour favoriser une identification à son malheur. Il en va de même pour Angelica, la défunte qui envoûte Isaac. En conséquence, l'ennui gagné et se trouve favorisé par des digressions du récit qui, plutôt que d'enrichir le film, nuisent à son unité et à sa cohérence. Alors, bien sûr, le film se révèle surprenant et inattendu par les virages qu'il prend mais cette liberté narrative finit par provoquer un désintérêt de plus en plus croissant concernant le devenir des personnages. Le film est assez court, 1h30, mais semble durer le double. Si l'éprouvé de l'ennui au cinéma peut parfois déboucher sur de grands films (par exemple, chez Weerasethakul), ici il travaille plutôt contre le film qui a pourtant d'indéniables qualités.
Pour qui est sensible à la composition des plans, L'étrange affaire Angelica offre un festival de plans extrêmement travaillés, oú chaque détail est agencé avec soin et précision. De magnifiques plans-tableaux qui évoquent chez le spectateur des réminiscences de peintures de la Renaissance: ces plans s'organisent souvent autour de la symétrie, la fixité et la frontalité. On se surprend à se demander si Wes Anderson est familier de la filmographie de Manoel de Oliveira.
La difficulté de datation de l'époque à laquelle se situe le récit constitue une autre bonne idée du film, un peu à la manière des premières minutes de Death Proof de Tarantino. Ainsi, l'intrigue semble s'inscrire dans les années cinquante et pourtant les voitures, certains vêtements sont strictement de notre époque. Ce flou entraîne une atmosphère étrange soutenue par le propos du film, un amour fou certes, mais surtout nécrophile. Par ailleurs, De Oliveira n'hésite pas à inscrire par subtiles touches du fantastique dans son récit (ambiguïté quant à la réalité du sourire d'Angelica sur son lit de mort), fantastique qui trouve une expression à la fois naïve et poétique.
L'étrangeté de cette affaire Angelica se situe en réalité pleinement dans ce questionnement: comment une mise en scène aussi passionnante peut-elle déboucher sur un film où l'ennui s'invite autant?