Il faut savoir rendre à César, les louanges et le mérite qu’il se doit. A l’instar de Jack Skellington cherchant à s’accaparer Noël, Tim Burton s’est souvent attribué les mérites de L’Etrange Noël de Monsieur Jack, bien aidé par la politique marketing de Disney. S’il est vrai que l’on doit au cinéaste la paternité du script et de son univers romantico macabre. Cette entreprise est en réalité le fruit d’une synergie entremêlé de conflits entre son producteur donc, mais également Danny Elfman aux chansons, et Henry Selick à l’animation qui fut le véritable faiseur, artisan et réalisateur de ce formidable conte horrifique. Mais pour comprendre les dessous de cet imbroglio bordélique, il faut revenir à sa genèse, lorsque Tim Burton n’était alors qu’un animateur travaillant pour le compte de la Walt Disney Company.
Après avoir œuvré sur Rox et Rouky, Burton écrivit une parodie subversive du poème de The Night Before Christmas qu’il intitula The Nightmare before Christmas. Mais la firme aux grandes oreilles n’était pas encore prête pour adapter un projet aussi sombre et extravagant à l’écran et ce malgré la qualité de ses précédents travaux et courts métrages (Vincent, et Frankenweenie). Cette décision regrettable l’amènera à quitter l’entreprise pour divergence artistique afin de s’épanouir et de se faire un nom dans le cinéma. Suivrons les succès de Beetlejuice et Edward aux mains d’argent, faisant de Burton la nouvelle étoile montante d’Hollywood. Dans le même temps, Disney avait repris des couleurs sous l’impulsion de son nouveau président Michael Eisner. Les cartons interplanétaires de La Petite Sirène, La Belle et la Bête puis Aladdin permettront au studio d’entrer dans un nouvel âge d’or.
Tim Burton reviendra donc dans la maison mère par la grande porte afin de concrétiser son projet nanti d’une enveloppe de 18 millions de dollars et d’une liberté créative totale. Le film sera réalisé parallèlement à Batman le Défi et la pré-production d’Ed Wood. Mais réticent à l’idée de devoir s’adapter aux contraintes des techniques d’animation en stop-motion qu’il jugeait trop laborieuse, le cinéaste préférera confier la réalisation à un expert en la matière. Son compère Henry Selick ne sera honoré de son dur labeur que 16 ans plus tard à la sortie de son troisième film Coraline.
Est-il encore nécessaire d’introduire l’histoire de Jack Skellington le beau squelette ambassadeur d’Halloween Town qui voulait s’improviser Perce-Oreille, et apporter du baume au cœur aux âmes les plus sombres et tourmentés. L’originalité de L’Etrange Noël de Monsieur Jack tient évidemment à ce mariage improbable des genres, des couleurs, saisons et traditions. Les goules, sorcières, noctambules et revenants vont entrer en collision avec les fantaisies naïves et infantiles du monde de Noël. Délires fantasque et bariolés se mêle ainsi au gothisme d’un grand cimetière à ciel ouvert en marge de ce qui est traditionnellement admis. Le film fonctionne souvent par opposition entre ses différents univers. Paradoxalement, le monde des morts s’avèrera être le plus vivant et extravagant.
Si sa côte de popularité n’a cessé de s’élever avec les années, L’Etrange Noël de Monsieur Jack a pourtant souffert de scores décevant lors de sa sortie en salle. Mal perçu, incompris, ignoré… Ce n’est qu’avec le temps, le travail de bouche à oreille et les nombreuses gammes de produits dérivés vendus par Disney que le film s’est imposé comme un classique des fêtes de fin d’année. Les adolescentes aux mitaines et socquettes blanche et noirs, et aux pulls et fanfreluches estampillés Jack Skellington se reconnaîtront. C’est toute l’ironie de cette entreprise et de la politique du studio qui n’avait pas su saisir le potentiel commercial de cette œuvre banni au rang des marginaux.
S’il fallait néanmoins attribuer la véritable paternité du long-métrage, il nous faudrait alors le décomposer façon puzzle pour dégager ses nombreuses thématiques (quête identitaire, tolérance, solitude), ses chansons, et sa mise en scène. Naturellement cette synergie atypique ne s’est pas faite sans quelques concessions et bisbilles. Danny Elfman a eu une très large influence dans le rythme initié par le récit grâce à ses nombreuses chansons et compositions, contraignant Henry Selick à s’adapter au fur et à mesure et à tourner les talons à plusieurs reprises. Naturellement, L’Etrange Noël de Monsieur Jack ne serait rien sans le travail préparatoire et la supervision de Tim Burton. Le cinéaste n’aura eu de cesse de cultiver sa différence tout au long de sa filmographie, en confrontant ses monstres et parias à l’horreur de la normalité. Henry Selick a certainement eu le plus mauvais rôle à jouer, le plus technique, pénible et ingrat, marchant sur un étroit filin en funambule pour s’adapter aux contraintes et impératifs de production. Chacun à sa façon aura contribué à rapiécé ce cadavre de fil en aiguille pour lui insuffler une vie propre. Car finalement c’est peut-être dans la spoliation que réside le véritable esprit du film et de cette fête païenne.
En cette période de festivités où il convient de se réunir en famille, d'ouvrir les cadeaux et de déguster une bonne pintade fourrée. L’Écran Barge vous propose de déterrer la hache de guerre en pervertissant l'esprit de Noël. Cette sélection de films saisonniers accompagnés de critiques virulentes et acerbes est donc réservés aux viandards, aux bisseux, aux tueurs de masses, aux durs à cuirs, aux frustrés et à tous ceux qui ne croient plus aux bons sentiments et à la paix dans le monde depuis bien trop longtemps.