L’adaptation d’un chef d’œuvre de la littérature est toujours un défi de taille ; il faut déterminer si l’on s’affirme en tant qu’auteur, en présentant une relecture du matériau d’origine, ou si l’on se pose en illustrateur qui tenterait de retrouver le souffle et la verve de l’œuvre. Visconti, qui en 1967 a déjà fait ses preuves avec des monuments comme Le Guépard ou Rocco et ses frères, semble ici opter pour la seconde alternative : restituer la sécheresse et le caractère atypique de cette œuvre parue 25 ans plus tôt.
On aurait de toute façon mal vu son lyrisme de grande saga au service de ce récit qui ouvre l’ère du soupçon et ce que deviendra le Nouveau Roman.
Dénué d’ambition démesurée, modeste, même, son Etranger prend le parti d’un point de vue externe sur un récit à la première personne, c’est-à-dire précisément ce qu’avait écrit Camus. Quelques expérimentations visuelles (zooms violents, portraits outrés des vieillards dans la veillée, éclairage de plus en plus hallucinatoire, notamment dans les scènes de cellule à la fin) tentent d’instaurer cette inquiétante étrangeté du quotidien, sans toujours y parvenir.
Le visage neutre de Mastroianni est en revanche un choix pertinent, tout comme son jeu passif consistant à se laisser ballotter par les événements et les personnages de rencontre : la ville nocturne, son détachement renforcé par une voix off qui reprend la tonalité diariste du roman sont en tous points fidèles au modèle.
Mais c’est paradoxalement ce point qui finit par lui être reproché : le roman, par sa neutralité et sa tonalité clinique, finissent par susciter une réaction du lecteur qui semble faire défaut ici. On ne décerne aucune position de la part du cinéaste, si ce n’est celle du respect scolaire de l’adaptateur, qui se contente de décliner en scénario un récit dont la sécheresse impliquait des prises de risque. La scène du meurtre est en ce sens révélatrice : trop rapide, presque bâclée, elle occulte par les faits le mystère fondamental qui sourdait du roman.
Finalement, le film semble s’adresser à ceux qui n’auraient pas lu l’œuvre : à eux, la découverte étonnée de cet anti-héros des temps post-modernes, et cette diatribe finale sur la lucidité face à l’absurde qui nous gangrène. Pour qui a déjà éprouvé la neutralité salvatrice et capiteuse de Meursault chez Camus, cet ersatz a tout d’un alcool éventé.