Un obscur film norvégien (bien qu'adapté d'un roman à succès écrit par un prix Nobel de littérature) qu'on croyait perdu jusqu'à ce qu'on retrouve deux bobines complémentaires au début des années 2000 — qui ne permirent pas de reconstituer la totalité du film, une vingtaine de minutes étant toujours considérées comme perdues aujourd'hui. Une œuvre en l'état incomplète, donc, à prendre avec des pincettes. On peut supposer que les scènes manquantes figurent dans les deux derniers tiers, tant l'histoire y est sujette à des ellipses conséquentes et à des zones très floues qui rendent la narration assez chaotique.
Mais on peut tout de même apercevoir quelque chose de très intéressant au-delà de ces coutures approximatives un peu trop visibles : l'établissement du paysan Isak dans les contrées très reculées de la Norvège sauvage, de sa petite hutte de fortune pour passer l'hiver jusqu'à sa maison en bois construite de ses propres mains, dégage un lyrisme champêtre et une poésie extrêmement charmante. C'est un peu la naissance d'une nation (d'une communauté, disons), au creux de landes vierges et presque stériles, particulièrement inhospitalières. Sa recherche d'une gouvernante, puis sa rencontre avec Inger, occupe l'essentiel du premier segment de L'Éveil de la glèbe, jusqu'à ce qu'elle tombe deux fois enceinte. Au troisième accouchement, une fille naîtra avec le trait distinctif de la mère, un bec de lièvre, qui provoquera une intense horreur, au point qu'elle enterrera le nouveau-né sur le champ, vivant. On a un peu de mal à s'approprier son geste, tant la chose est rapide et décontextualisée, et il en résulte une poussée dramatique un peu excessive. Le personnage d'Oline en rajoutera des couches et des couches dans la tragédie, conduisant à l'emprisonnement de la mère, son infanticide lui coûtant 8 ans de bagne. Gageons que les bobines manquantes se trouvaient à cet endroit de la pellicule.
Au-delà de l'isolement du fermier Isak, perdu au milieu de paysages montagneux magnifiques, c'est la lente apparition d'une communauté dans ces montagnes enneigées qui vaut le détour. D'abord une vache, puis un cheval, puis des enfants, puis un bailli, puis des voisins, puis des mineurs, etc. C'est dans cette dernière direction que le film se montre relativement brouillon, tant la construction de la mine et les soucis qui en découleront semblent décousus, au sein d'une narration plutôt inconsistante comportant d'étranges omissions. Mais c’est aussi au cours de ce segment que le titre du film prend tout son sens, comme l’épiphanie de tout ce qui a précédé — la glèbe était la terre d’un domaine auquel un serf était attaché, à l’époque féodale.
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