Une femme sous échéance
On met un certain temps à identifier le sentiment d’étrangeté qui happe le spectateur face à l’exposition de L’Événement : situé dans les années 60, ce portrait de jeune fille semble évoluer à...
le 6 déc. 2021
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Anne (Anamaria Vartolomei) est une jeune femme brillante, étudiant dans le secondaire, quelque part en France en 1963. Elle vit dans une société qui nous paraît à la fois distante et proche. Les rapports sexuels y sont tabous, le désir réfréné, la frustration et l’hypocrisie règnent partout. Pour y réussir, il faut faire de hautes études, surtout quand on vient d’un milieu modeste comme elle. C’est une France se voulant exemplaire, pudibonde, pré-68, qui corsète la jeunesse, en particulier les femmes. Anne dira dans le film à propos des soirées dansantes :
« Tout le monde cherche la même chose ici mais personne n’ose le dire ».
C’est une des grandes idées d’Audrey Diwan, repousser hors-champ, du moins au début, les pulsions réprimées de cette jeunesse. À commencer par le sexe.
Ne pas le pratiquer, en parler seulement dans le secret des chambres universitaires, se montrer respectable en public. Avant la contraception, la peur d’être fille-mère est omniprésente, celle de rater les examens également.
Anne et ses amies tentent donc de naviguer dans un environnement qui enferme leur corps mais voudrait libérer leur esprit par l’enseignement.
La mise en scène épurée de la réalisatrice française, dont c’est le deuxième long-métrage après Mais Vous Êtes Fous (2018), consigne son héroïne et son spectateur à un format d’image carré, en 1:37, format à la fois immersif et claustrophobique. On pense inévitablement à Gus Van Sant dont la caméra errait sur le campus d’Elephant dans ce même format.
Anne est ainsi souvent suivie de dos, de près, ce qui lui fait face est flou et menaçant. Le drame social mute peu à peu en thriller, bien aidé par la musique minimaliste de Evgueni et Sacha Galperine.
Un décompte s’affiche à l’écran. Anne n’a pas eu ses règles depuis trois semaines, elle s’inquiète. L’événement déclencheur a donc eu lieu avant le film…
L’événement nous bouscule inévitablement. Ce qui s’y joue est d’une intensité vitale. Le droit d’une femme à disposer de son corps sans que cela ne lui coûte la prison ou la vie…
Les rendez-vous chez les médecins s’enchaînent. Certains se montrent prévenants, d’autres, criminels. Tous sont démissionnaires face à la seule issue possible. Durant toute la durée le film, le mot avortement n’est jamais prononcé.
Anne est donc enceinte. Mais cette grossesse, elle n’en veut résolument pas.
Anne se trouve seule, face à son ventre qui s’arrondit, essuyant les regards réprobateurs des femmes et la lâcheté des hommes.
Pour autant, Audrey Diwan ne juge ni ne condamne ses protagonistes. Certains sauront trouver un élan de compassion inattendu face à l’urgence que vit l’héroïne, ce qui rend le film humain et l’extrait de toute vision manichéiste ou sexiste.
L’évenement bascule alors, dans son dernier tiers, dans un quasi film d’exorcisme.
Ce corps étranger, Anne veut se l’extirper, coûte que coûte. Ce qui était hors-champ devient alors le sujet central, l’obsession. Le monde autour devient flou. Comment s’y prendre, concrètement, quand aucun médecin, aucune institution ne veut vous aider ? Plus les semaines passent, plus il est difficile de détourner les yeux.
Clinique, le film n’épargne alors plus rien au spectateur. La « faiseuse d’anges », les aiguilles à tricoter, les sondes, la douleur d’un corps martyrisé d’une femme n’ayant commis aucun crime. Une femme souhaitant simplement retrouver son état initial et la possibilité de poursuivre sa vie librement.
Le parcours d’Anne devient un calvaire éprouvant qui rappelle, cette fois, les films sacrificiels de Darren Aronofsky, notamment Mother ! ou Black Swan, qui a directement servi d’inspiration à la réalisatrice pour nourrir le jeu de son actrice.
Et quelle actrice ! Anamaria Vartolomei porte le film avec une détermination farouche. Son regard captive et nous fait ressentir les étapes, même les plus difficiles, de ces quelques mois cruciaux dans la vie de cette femme. Son phrasé et sa voix, fidèles à ce qu’on s’imagine des années 60, nous touchent. Il se dégage un mystère rare de cette comédienne qu’Audrey Diwan et Laurent Tangy, chef opérateur, ont su restituer.
De chaque plan, et d’un abandon total, Vartolomei est un choix de casting s’imposant comme une évidence et contribuant pour beaucoup à la pluie de prix reçue par le film, à commencer par le prestigieux Lion d’Or à la Mostra de Venise.
Mais il y a autre chose qui se joue. On sent chez Anne une motivation, autre que la peur du qu’en-dira-t-on, pour renoncer à cette grossesse. L’actrice donne parfois la sensation que, même en 2021, dans un contexte social plus favorable, Anne n’aurait, malgré tout, pas gardé cet enfant. Il se joue en elle quelque chose d’inflexible, presque martial. Une envie de jouir pleinement de son propre corps et de ne laisser quiconque l’altérer sans son consentement.
La comédienne parle de cette force intérieure : « J’avais toujours en tête cette phrase : Anne est un soldat. Elle part à la guerre. Elle a des alliés qu’elle perd en chemin. Elle finit à terre. On lui donne des coups. Mais elle se relève […] Anne ne baisse jamais les yeux ».
Avec L’événement, Audrey Diwan signe un film combatif, nécessaire, sans compromis, porté par la révélation incandescente Anamaria Vartolomei. Il s’agit assurément d’un des plus beaux films d’une année 2021 particulièrement riche pour le cinéma français (Illusions Perdues, Onoda, Annette, Tout s’est bien passé, Titane).
Après la Mostra, place aux César ?
Clément Boyer-Dilolo
Critique à retrouver sur Le Monde du Ciné :
http://www.lemondeducine.com/levenement-critique/
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le 9 nov. 2021
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