Le succès sans précédent de L'Exorciste l'a placé pendant longtemps dans un top 3 du box-office américain à côté des Dents de la mer et du Parrain à une époque où le terme de blockbuster n'existait pas encore, je dis ça parce qu'il faut replacer dans son contexte ce film qui reste une référence du cinéma d'épouvante, le public de moins de 30 ans aujourd'hui n'a pas idée du choc de ce qu' a pu être L'Exorciste, je crois qu'il faut l'avoir vécu.
Je ne l'ai pas vu à sa sortie en 1973 car j'étais encore trop jeune, mais probablement 3 ans plus tard lors d'une reprise d'été, pratique qui était courante dans les cinémas durant les années 70 et début des 80, je devais donc avoir dans les 16 ou 17 ans, âge où on est encore impressionnable, même si je commençais à me blinder un peu car c'était l'époque où j'ingurgitais quantité de vieux films d'épouvante Universal et Hammer. Mais je me souviens encore de cette séance, ce fut un véritable électrochoc ! des filles gueulaient, certaines devenaient hystériques, fallait les évacuer, on se tenait cramponné au fauteuil, bref j'en menais pas large.
Misant sur le réalisme, la mise en scène de William Friedkin est d'une efficacité redoutable, agençant parfaitement le crescendo de la terreur, car c'est ça la recette du succès : une terreur progressive qui monte assez lentement. Le début est plutôt long et déroutant, avec les fouilles archéologiques du père Merrin en Irak, puis l'action située à New York montre une mère célibataire et sa fillette, on entend d'abord des bruits sourds au grenier, puis dans la chambre de la gamine, jusqu'à ce que le lit se mette à bouger, et à partir de là, soit 45 mn à peu près après le début du film, le spectateur allait connaître un effroi incessant et indescriptible, on n'avait jamais vu ça. Dans les années qui suivirent, vous pouviez demander à n'importe quel amateur de ciné fantastique quel était le film le plus effrayant qu'il ait jamais vu, on vous répondait à coup sûr L'Exorciste.
Le film fut le premier du genre qui ait rencontré un aussi vaste succès public, Friedkin frappait de nouveau un grand coup après son triomphe de French Connection, et la mode des films "sataniques" démarra ensuite avec des films comme la Malédiction (également une grosse réussite) ou Holocauste 2000, de même qu'une suite moins réussie mais très correcte, L'hérétique proposa une alternative à l'histoire de cette fillette possédée par un démon. Plus tard, la version rallongée a enrichi le scénario sans affaiblir le rythme, avec notamment une scène qui fit frémir, où la fillette descend un escalier comme une énorme araignée.
La terreur distillée par Friedkin était d'autant plus efficace qu'il mettait en scène une enfant qui vociférait un langage ordurier et obscène ; les "ta mère suce des queues en enfer" ou les "baise-moi" avec un crucifix en guise de gode, fallait oser en 1973 ! D'ailleurs on sait que ces dialogues dérangeants étaient doublés par l'actrice Mercedes McCambridge (qu'on avait pu voir dans Géant et Johnny Guitare). Ceci couplé au maquillage horrifique de la jeune Linda Blair, fit beaucoup pour la réputation du film et pour sa réussite. Réalisé par Dick Smith, orfèvre en la matière, qui avait déjà vieilli Brando dans le Parrain et Dustin Hoffman dans Little Big Man, ce maquillage atteignait la perfection et le summum de l'horreur lorsque la tête de la gamine tournait à 180° et lors des jets de bile verdâtre.
Pour le cinéma fantastique, L'Exorciste qui n'employait aucun jump scare ni effets grotesques à répétition comme ce sera le cas dans des films ultérieurs, fut aussi le début d'une mutation : la fin de la suprématie anglaise de la Hammer, l'accès aux budgets importants dans les années 70 et 80, la légitimité des films d'horreur qui n'étaient jusque là réservés qu'aux ados peu regardants, et la surenchère des films italiens sanguinolents. Mais plus simplement, c'est un film qui a marqué de manière indélébile la mémoire de tout amateur de cinéma horrifique. A noter que je l'ai revu plusieurs fois à différentes périodes jusqu'à récemment, et ça vous remue encore les tripes.