Donner une suite à L’Exorciste était un pari risqué. Confié au Britannique John Boorman, qui venait de signer Délivrance et Zardoz, cet Exorciste 2 : L’Hérétique se distingue nettement de son prédécesseur mais inscrit l’histoire de Regan dans un cadre qui dépasse largement celui du simple film d’horreur.
L’Exorciste 2 : l’hérétique, de John Boorman, jouit d’une mauvaise réputation. Il est vertement critiqué par de nombreux adeptes du film de William Friedkin, à commencer par l’auteur du roman, William Peter Blatty, qui, en 1990, réalisera ce qu’il conçoit comme étant la seule véritable suite à L’Exorciste.
Il faut dire que, si on attend une suite qui soit dans la droite ligne du film original, on ne peut qu’être déçu. Cet Hérétique n’est même pas un film d’horreur, et ne cherche pas à l’être. Boorman expédie toute prétention dès la scène d’ouverture : on y voit une femme possédée, mais ici pas de maquillage outrancier ni de liquide verdâtre, pas d’effets visuels monstrueux, de lit qui remue dans tous les sens ou d’objets qui volent. Par contre, par un subtil jeu d’ombres et de lumières qui se reflètent sur le visage du prêtre, on comprend très vite que le conflit contre le démon sera ici intériorisé (donc forcément moins spectaculaire).
Hérétique ?
Le père Lamont (Richard Burton) est un proche du père Merrin (l’un des deux prêtres du film original, incarné par Max Von Sydow). Il possède une photo de Merrin dans sa Bible, et lorsqu’il doit faire une prière, c’est à Merrin qu’il l’adresse, et non à Dieu. Il faut dire que Lamont ne se sent pas digne d’être prêtre, et encore moins de marcher dans les pas de son illustre prédécesseur. C’est pourtant à lui que les autorités ecclésiastiques vont demander d’enquêter sur les conditions de la mort du père Merrin.
Quel est L’Hérétique qui donne son titre au film ? D’après les hautes instances de l’église, il s’agirait du père Merrin, qui, à force de combattre le démon, en serait devenu un allié, fasciné par ce qu’il a passé sa vie à poursuivre.
Mais peut-être que ce terme désigne également Lamont. Lamont, qui pense que Dieu est silencieux et qu’il a abandonné les hommes sur une terre laissée à la disposition du seul Mal ? Lamont qui, chargé d’enquêter sur le procès en hérésie de Merrin, se retrouve lui-même sous la même accusation et obligé d’agir en dehors du cadre de l’église ?
Dans le film de Boorman, le combat contre le démon se joue principalement à l’intérieur des personnages. C’est une lutte interne, et le champ de bataille se situe, en grande partie, dans la psychée de Lamont. Car, à force de se frotter au Mal, on finit par être infecté. C’est bien là un des enjeux du film : mettre fin à la propagation d’un Mal qui, comme un virus, se répand de plus en plus.
Les guérisseurs
Mais que devient Regan alors ? La jeune demoiselle, victime principale du démon Pazuzu dans le film précédent, a complètement oublié les moindres événements qui se sont déroulés à Georgetown. Elle suit une thérapie auprès d’une psychiatre, sans vraiment en comprendre la raison.
La docteur Tuskin (Louise Fletcher) tente une technique expérimentale qui permet d’établir un lien entre deux consciences. Lamont plonge donc dans l’esprit de Regan, convaincu que Pazuzu s’y trouve encore, profondément enfoui. De par son expérience, le prêtre a remarqué que le démon s’attaque en priorité à ceux qui ont un pouvoir de guérisseur ; c’est le cas de Regan, qui l’on voit s’occuper d’une jeune autiste, comme c’était le cas d’un jeune sorcier en Afrique.
L’Afrique, champ de bataille
L’Afrique présentée dans le film de Boorman paraît, à première vue, être ridiculement caricaturale. Les paysages, les décors, tout sent le préfabriqué, l’artificiel, le mauvais décor de cinéma.
Et si c’était fait sciemment ? Si telle était la volonté de Boorman ?
Pourquoi ?
Parce que l’Afrique présente dans le film n’existe pas. Elle n’a pas vocation à être réaliste, parce qu’elle n’est pas une réalité. On apprend vite que le paysage africain aperçu dans l’esprit de Regan se retrouve, à l’identique, dans le décor d’une des salles du Muséum d’Histoire Naturelle, que la jeune femme fréquente assidûment. Ce décor n’est donc pas réaliste, il est un paysage mental, un lieu recréé par l’inconscient de Regan pour servir de champ de bataille.
L’Afrique, c’est aussi le lieu où Lamont va partir à la recherche de Pazuzu. Pour partir à la quête du Mal (qu’il soit surnaturel ou psychologique), il faut remonter à son origine, retourner dans le passé; or, l’Afrique, c’est, par excellence, le lieu de l’origine. C’est ce que propose la thérapie qui suit Regan (et toute thérapie psychanalytique, d’ailleurs). C’est le chemin que suit aussi le prêtre. Les voyages en Afrique ne sont pas des digressions dans le film, ils en constituent un moment important : partir sur les traces du Mal. Et donner le nom du démon, car nommer le Mal, c’est déjà le soigner.
L’Afrique est aussi employée dans un troisième sens. C’est le reflet inversé de l’Amérique, surtout sur le plan de la spiritualité. Lamont ne cesse de répéter que le Mal progresse, mais c’est surtout vrai dans un Occident qui étouffe la spiritualité. Une image est très significative : une petite église encadrée par d’immenses buildings au sein d’une grande ville, allégorie d’un Occident dont les préoccupations se sont détournées du spirituel.
L’Afrique est alors le lieu où l’on peut retrouver la spiritualité, même si, là aussi, elle est menacée (lorsque Lamont cherche un sorcier capable de dominer Pazuzu, on se moque de lui en l’emmenant voir une prostituée).
Alliance de la spiritualité et de la psychanalyse, de l’ancien et du moderne, de l’exorcisme et de la rédemption, L’Exorciste 2 : l’Hérétique est un film dense et complexe, bien éloigné des simplifications et des raccourcis dans lesquels on voudrait l’enfermer. Certes, le film n’est pas exempt de défauts (dans son interprétation, par exemple, ou dans certaines scènes qui sont plus contestables visuellement), mais il est d’une intelligence remarquable. Boorman emploie des symboles (les nuées de criquets comme représentation du Mal, qu’il soit psychologique ou spirituel) et met en place un univers unique, un paysage mental dans lequel se livre un combat pour la délivrance du mal qui est en soi. Le défi de Boorman consiste donc, ici, à figurer l’intériorité de ses personnages.
Parmi les qualités de cet Exorciste 2, il ne faut pas oublier la musique, en particulier les envolées lyriques du très beau Regan’s Theme composé par Ennio Morricone.
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