Bon, on le savait dès le départ que ça allait dégénérer. Alors, virons les passages où le film fait du remplissage (l'introduction, tout ce qui précède le début de l'expérience, avec notamment la sous intrigue bidon du journaliste infiltré) pour se focaliser sur les véritables arguments du film. A notre époque, il lance donc une expérience sociologique, sur la base qu'aucune expérience de ce genre n'a déjà été faite. Et comme on s'y attends, on assiste très vite à des dérives, des maltraitances et des comportements sadiques. C'est maintenant sur leur apparition qu'on peut disserter et débattre. L'expérience initiale était réalisée avec des étudiants, la version 2.0 préfère des adultes consentants, la plupart étant motivés par l'argent. Lors de mon premier visionnage, j'avais été globalement convaincu, mais des manifestations de sadisme me semblaient expédiées, malvenues, gratuites. Comment distinguer dès lors le reproduit du fantasmé. Déjà en marquant une énorme scission aux deux-tiers du film, qui passe une ligne qui n'aurait pas dû être franchie (et qui d'ailleurs ne le fût pas pendant l'expérience). Cette ligne est celle de la structure extérieure. Je vais détailler la façon dont j'envisage les comportements sociaux intra-muros (le film semble plutôt fidèle aux faits dans ce registre), mais très vite, l'expérience dégénère et les scénaristes poussent alors un mécanisme de remise en question de la moindre moralité (cette connerie du "c'est un test en fait, donc on peut y aller, notre but reste de maîtriser la situation") qui finit par les faire attaquer directement les scientifiques en charge de l'expérience et à les soumettre à des traitements encore plus violents (et allez qu'on a une tentative de viol des bonnes familles, et vas-y qu'on a de la torture manifeste...). Là, le film pète un câble et dépasse les bornes, même si cet aboutissement suit une logique bien entamée, elle se permet des facilités qui ne passent pas.

Cependant, jusqu'à ce basculement, la gestion des mécanismes sociaux n'est pas mal réussie. Elle joue d'ailleurs intelligemment sur les initiatives des gardiens pour reprendre le contrôle en s'assurant l'obéissance par l'humiliation et un usage modéré de la force, l'atteinte à la dignité dans avoir encore recours à la torture. A l'exception de la facilité de la séquence d'humiliation du héros (tiens, un peu d'urine), la description concorde avec ce qui a été observé au cours de l'expérience de Stanford. On voit même la responsabilité du héros dans l'escalade de tensions qui amène dès le deuxième jour une rébellion générale chez les prisonniers, qui sont donc les premiers à mettre les gardiens le dos au mur, et donc responsable d'avoir déjà engagé l'escalade. C'est là que peut commencer un débat sur la validité de l'expérience, ses conclusions étant nettes et claires (le film oublie d'ailleurs une technique assez intéressante des gardiens pour casser les révoltes, à savoir d'accorder à certaines cellules des privilèges pour suggérer l'idée de la présence de balances, et créer ainsi des conflits entre détenus pour enlever tout esprit de révolte (donnant un résultat proche de ce que Blindness montre, en rappelant que je n'avais pas supporté).

Le scientifique ayant dirigé l'expérience (le docteur Zimbardo) en a tiré la conclusion de l'existence de l'effet Lucifer, qui en soumettant des cobayes lambda dans un système de stress pousse à adopter des comportements violents et préjudiciables au groupe. Mais cette hypothèse est contestée, et notamment par des observations qui me semblent judicieuses, notamment sur l'incitation du facteur aléatoire. La tendance manifeste à vouloir déshumaniser toutes les composantes humaines de cette expérience annihile déjà le facteur moral, les personnes se confortant alors dans leur rôle (cela transparaît un peu dans l'insistance des gardiens à vouloir habiter leur personnage) et en faisant fi de toute considération extérieures à une demande de résultat sans protocole. Par les lacunes des conditions de l'expérience, celle ci incite déjà à violer des fondamentaux sociaux, renforcée par l'absence de la moindre formation ou encadrement minimale du personnel (la principale différence avec les systèmes carcéraux pris pour modèle) livre finalement des individus totalement inexpérimentés avec une obligation de soumettre un groupe d'autres personnes sans moyens de pression autre que la force physique ou le matraquage psychologique. La soumission d'un groupe d'individu lambda serait consentant dans la mesure de leur morale (c'est la façon naturelle dont fonctionne un esprit non condamné en justice). Et c'est aussi le cas ici, ils n'ont simplement aucun objet à disposition pour assurer leur défense. Ce n'était clairement pas le but, et les conditions arbitraires ajoutent davantage de pression. Pour ce qui est de l'étude de cobayes humains en situation de stress, le film propose des mécanismes plutôt fonctionnels, les moindres soupçons de défiance étant immédiatement réprimés par les gardiens au fur et à mesure que progresse l'expérience.

Le coup des bouteilles de lait est un exemple absurde, mais démonstratif de cette tendance. De même que les mouvements de groupe, grandement influencés par des personnalités leaders et beaucoup de suiveurs, une conception de l'humanité qui m'a convaincu à plusieurs reprises, ont aussi des comportements à nuancer (les tendances au sadisme notamment, les conclusions de Stanford étant assez troublantes sur ce point). Au final, si les petits mécanismes de L'expérience sont intéressants et fidèles au matériau d'origine, il se plante sur ses amplifications et peut sembler maladroit sur plusieurs points (notamment sur l'abolition totale de toute forme de morale ou de limite au nom de l'expérience). Et apporte quelques éléments pour alimenter un débat sur les conclusions à tirer de cette expérience, sans toutefois transposer ses conclusions sur un modèle carcéral réel.
La facture du film est quelconque et expédiée, les acteurs font leur boulot sans grand génie, mais la fidélité du film assure un certain fond. C'est sur l'expérience de base et les conclusions qu'il faut davantage adopter du recul et bien réfléchir sur les mécanismes sociaux majeurs qui eurent lieu dans les sous sols de la faculté de Stanford...
Voracinéphile
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le 22 janv. 2015

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Voracinéphile

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