Une fontaine de jouvence : l’éternité et la vraie liberté, c’est l’enfance

Ce que j'aime le Cinéma de Hou Hsiao-Hsien, ma grande découverte de ce début d'année 2020 !


C'est la première fois que je vois Hou Hsiao-Hsien faire un film entièrement sur l'enfance. C'est un sujet qu'il apprécie, au même titre que la jeunesse, mais dans ce que j'ai pu voir du réalisateur, jamais il n'y a consacré autant de temps. Dans Un temp pour vivre, un temps pour mourir, l'enfance est importante, mais n'est pas le fil conducteur de l'oeuvre, car le temps passe, et l'enfant devient adulte. Et sinon, c'est surtout la jeunesse dont parle Hou Hsiao-Hsien, une jeunesse perdue, en mal d'histoire, comme dans Poussières dans le vent. Ici, nous sommes toujours avec les enfants, et c'est vraiment magnifique. Alors c'est sûr, c'est beaucoup plus léger que ce qu'il réalisera par la suite ; mais cette légèreté était essentielle. Essentielle car Hou choisi de se focaliser sur l'enfance, ce moment où nous ne somme pas encore soumis aux angoisses matérielles et existentielles, ce moment où nous ne sommes pas encore totalement conditionnée, ce moment de vie profonde... C'est certainement pendant l'enfance que l'excitation de la vie s'exprime le plus.


Et Hou Hsiao-Hsien filme tellement bien ces enfants... La mise en scène est complètement au service du propos. C'est une réalisation assez tonique si j'ose dire, pleine d'énergie, cela contraste avec ce qu'il proposera plus tard, dans des films beaucoup plus lents, dans des tonalités semblables à celles d'Ozu, et qui dépeignant l'immobilisme, l'attente et la monotonie que subissent la jeunesse de Poussières dans le vent. L'enfant n'est pas encore soumis à cela ; l'enfant ne connait pas de monotonie. Il y a tout un travail intéressant sur le montage ; les plans se multiplient, il y a peu de plan-séquences alors que d'habitude, Hou étire ses plans, les fait durer. On y reconnaît tout de même sa signature cinématographique à travers ses travellings magnifiques et à travers ses plongées qui sont parmi les plus belles que j'ai pu voir avec celles de Tarkovski. De plus, Hou reste malgré dans le registre du naturalisme. Mais avec une tonalité pleine d'humour ! J'ai beaucoup rigolé devant ce film ; la séquence où les enfants doivent prélever leurs selles et les ramener au professeur, c'était tout à fait génial. C'est un film qui respire la gaité. Et l'expression des enfants que capte Hou est parfois proche du sublime !


La musique est d'ailleurs en totale adéquation avec cette tonalité plus légère qu'à l'accoutumée dans le Cinéma de Hou. La musique est même assez joyeuse, souligne certains moments de bonheur, dans un monde qui n'est pourtant pas des plus simples, mais là est toute la force de l'enfance... Toute proportion gardée, c'est ce qui anime Apu dans le très beau film de Satyajit Ray, La Complainte du sentier. Malgré l'extrême dureté du milieu dans lequel il vit, il arrive à se créer des moments de bonheur, grâce à l'insouciance et l'imagination de l'enfance. Apu est préservé, tant qu'il est enfant. On pourrait néanmoins reprocher au film de Hou une utilisation un peu trop récurrente de la musique, qui casse parfois le côté naturaliste de l'oeuvre ; certaines scènes auraient peut-être gagner à s'en affranchir. Mais en même temps, ça permet ça permet de prendre un certain recul quant à ce qui nous est exposé, et c’est intelligemment fait. Et puis, au-delà de la musique, il y a aussi l’importance du chant ; à de nombreuses reprises, Hou nous filme des personnages, que ce soit les enfants ou les adultes, chanter, et ce sont souvent de très belles scènes, pleines de vie. Je pense notamment à cette scène au bord de l’eau où Hou Hsiao-Hsien arrive à capter un certain bonheur chez ce professeur, c'était superbe.


Ce film est un hommage à l’enfance. Les enfant sont si beaux, ils comprennent tant de choses, mais ils peuvent également être très cruels, car ils n’ont pas encore de barrières, ils n’ont pas encore intégré toute la conduite morale normative imposée, ils sont certainement les personnes les plus libres (en acte plus qu'en pensée, certainement) ; ainsi, l’enfant peut être d’une douceur éclatante comme d’une violence assez terrible, et Hou nous expose cela. Un exercice que Pialat a réussi à mener de main de maître dans L’Enfance Nue… D’ailleurs le lien entretenu par l’un des trois mousquetaires avec le hibou me rappelle quelque peu le lien qu’entretenait le gamin de L’Enfance nue avec le chat, même si dans le film de Pialat, la cruauté est poussée jusqu’au bout avec le « meurtre » du chat.


Je dois reconnaître par contre que j'ai moins été emballé par les intrigues autour du professeur, des moments un peu plus dur on va dire, car nous sommes dans la vie adulte, et cela contraste avec tout ce que nous montre Hou sur l'enfance. J'ai trouvé ces 20 minutes en trop, ou inappropriées à l'oeuvre - sans que ce soit mauvais, mais plutôt hors-propos. De manière générale, j'ai globalement été moins conquis par le dernier tiers du film - à l’exception de cette scène merveilleuse où les enfants s'amusent avec leur professeur au bord de la rivière… il y a là la captation d'une telle joie qui n'est propre qu'à l’enfance, il y a un bonheur juvénile si beau ! C’est la fontaine de jouvence ; ce moment semble éternel, et le sera grâce au souvenir du moment en question, ce souvenir qui est capable de nous sauver pour la vie s'il remonte à l'enfance justement, comme le dit Aliocha dans Les Frères Karamazov. Et même quand la tristesse s’empare des enfants, il y a quelque chose de beau dans la façon qu’ils ont de passer si vite à autre chose. Oui, l’enfance est une véritable fontaine de jouvence ; si les artistes peuvent gagner l’éternité à travers leurs oeuvres, les hommes, en général, peuvent accéder à l’éternité par l’enfance, pour ceux qui ont en tout cas vécu leur enfance (le néoréalisme italien lui nous expose une situation inverse, en mettant presque systématiquement en scène des enfants qui n’ont pas le temps de vivre leur enfance et qui sont propulsés beaucoup trop tôt dans le monde adulte).


Tout ce qui se passe autour de cette rivière est intéressant qui plus est ; mais ce n’est pas ce qui m’a le plus passionné, et j’ai trouvé que Hou Hsiao-Hsien s’attardait trop sur ce conflit. En fait, je trouve que le film ne se prêtait pas forcément à l'examen de cette conflictualité politique. J’aurais préféré qu’il reste focalisé sur les enfants tout au long du film. Même s’il est intéressant de voir comment les enfants peuvent comprendre ces sujets politiques qui semblent pourtant les dépasser, de voir comment l’enseignant essaie de leur expliquer la conflictualité politique, qui est ici un conflit d'espace géographique autour de cette rivière et de l'exercice de la pêche. Il est également intéressant de s’attarder sur la réaction de certains enfants, et de voir que malgré tout, ils sont déjà concernés par la politique et le jugement social ; je pense notamment à cette fuite de l’enfant et à sa crainte de retourner à l’école qui se fonde sur une crainte du jugement à cause des agissements de son père. Dans ce film, on est loin de la conception freudienne selon laquelle l’enfant serait le père de l’adulte… l’enfant, s’il n’est pas encore conditionné moralement, reste conditionné socialement par la famille ; et si les sujets politiques dépassent les enfants, ils comprennent malgré tout beaucoup de choses et sont déjà ancrés dans une logique sociale plus que politique. Si ce derniers tiers de l'oeuvre m'a moins touché, m'a moins parlé, ça reste une partie très intéressante, et toujours aussi bien réalisé.


« Il ne faut pas gâter et dénaturer le caractère des enfants, c’est ce qui les empêche de rester charmant. » disait Lévine chez Tolstoi, dans Anna Karénine . Ce n’est sûrement pas le meilleur film de Hou Hsiao-Hsien, mais c’est un magnifique hommage à l’enfance.

Reymisteriod2
8
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le 1 févr. 2020

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Reymisteriod2

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