Librement adapté du roman "Washington Square" de Henry James, William Wyler nous propose avec "L'Héritière" un film totalement inclassable et déstabilisant. On commence par une comédie légère et naïve, puis on enchaîne sur une romance des plus ambiguës, avant de sentir grandir les prémices d'une tragédie et de glisser enfin, vers le drame. Et le plus impressionnant, c'est que l'héroïne suit cette trajectoire à la perfection. On sent bien que tout peut arriver et c'est ce qui confère à la psychologie du personnage, campé avec brio par Olivia De Havilland, toute son ampleur.
A l'instar de L'Insoumise, on sent à nouveau avec L'Héritière le soin méticuleux apporté au portrait de cette jeune femme, ici prisonnière de son héritage et de la haute société bourgeoise dans laquelle elle évolue. Catherine Slopper est donc la fille d'un médecin immensément riche, au physique peu avantageux mais pleine d'empathie, à l'esprit pur et candide, qui ne se fait courtiser que pour la fortune qu'elle possède. Voilà, en deux mots, pour le résumer de l'histoire. A partir de là, William Wyler formule à travers les différents espoirs et désillusions éprouvés par sa muse, une virulente critique de la société mondaine, toujours aveugle à la véritable beauté, trop éblouie qu'elle est par l'éclat de sa fortune.
Sous nos yeux, Catherine se métamorphose alors en une créature aigrie et déterminée. Même lorsque l'on croit voir renaître l'espoir en elle à la toute fin du film, ce n'est que pour se montrer encore plus cruelle par la suite : "Il est revenu avec les mêmes mensonges, les mêmes phrases idiotes. Il est devenu plus avide avec les années. Avant, il ne voulait que mon argent, maintenant il veut mon amour". Tellement dure et loin de la jeune femme qu'elle était ! La figure du père est elle-même dépréciée, celui-ci ne voyant sa fille que comme le portrait raté de sa défunte mère, si belle et tant idéalisée. Mais comment peut-on tenir la comparaison face à une icone ?
Et que dire alors de la tante, qui pousse sa filleule à se jeter dans les bras d'un homme cupide, persuadée qu'elle est incapable de susciter l'amour de qui que ce soit de par son manque de charme et d'esprit.
Finalement, le seul personnage semblant échapper au pessimisme ambiant en incarnant un semblant d'humanité est l'amant (Montgomery Clift), éveillant chez l'héroïne un amour passionné et absolu; dont on ne connaîtra en fait jamais les réelles intentions, bien que son arrivisme ne soit malheureusement que trop évident.
Irrémédiablement consciente de son impossibilité à trouver un homme aimant, en ayant la certitude qu'il ne soit pas intéressé, Catherine préférera alors se conformer au modèle imposé par sa position : celui d'une femme résignée, froide et même fourbe; déjà hermétique à toute forme de plaisir avant même d'avoir tenté de vivre.
Un constat sombre donc, attestant une moralité édifiante : l'argent ne fait décidément pas le bonheur.