J'ai été touché. Les derniers plans m'ont, contre toute attente, bouleversé.


J'ai beaucoup aimé ce scénario un peu décousu qui parle de gens seuls, de gens qui ont leurs petits a priori, certains essaient de les comprendre, d'autres non. On est vraiment dans un rapport de l'image particulier : cela se ressent au travers du juré qui ne dit rien mais dont on filme les réactions lorsque les autres parlent ; cela se voit aussi au travers de la fille qui ne s'intéresse qu'à la manière dont les gens s'habillent, ou bien qui est obsédée par son téléphone et qui va jusqu'à enregistrer une séance ; cela se ressent au travers des témoignages qui constituent les seuls éléments d'une enquête qui piétine ; cela se ressent au travers des ragots, des rumeurs sur Monsieur le Président. Et puis il y a ces petits coups de théâtre, où des personnages se révèlent, soit sur scène, soit dans l'intimité. L'auteur semble vouloir encourager les gens à aller au-delà de ce qu'ils voient mais en même temps ne semble pas condamner le manque d'approfondissement, comme si, avec lucidité, il comprenait qu'il s'agit là d'une manie que nous avons tous, souvent malgré nous. Il serait idiot de croire que l'on est au-dessus des préjugés : les préjugés, ils débarquent toujours sans crier gare ; on se fait une opinion, on lit des théories, on accepte un constat avec du temps et puis on finit par le restituer, le partager avec d'autres avec toujours moins de détails, jusqu'à ce qu'un jour, cette recherche ne devienne plus qu'une étiquette dont on ne sait plus trop d'où elle vient. Preuve du film : les premiers à faire leurs ragots sont justement des hommes de loi qui ont pour habitude de creuser la surface des événements pour mieux les comprendre et ainsi mieux les juger.


Le scénario paraît donc un peu décousu parce qu'on ne suit pas seulement le personnage principal, à certains moments, la caméra s'arrête sur les autres personnages pourtant secondaires. Par exemple, lorsqu'on assiste à une discussion entre jurés, ce n'est pas quelque chose de primordial à l'intrigue, on sent bien que ce sont les questions posées par le juge qui dénoueront l'affaire plus que la réflexion faite par les jurés. Et pourtant cette scène est utile, car elle permet d'affirmer les personnages et renforce également le thème de l'image qui est nécessaire pour justifier cette histoire d'amour ; les histoires d'amour, souvent, dans les films, démarrent bêtement et on n'y croit que trop rarement à cette union entre deux êtres qui n'ont rien en commun, qui se contente de rire des blagues de l'autre. Ici, les auteurs mettent en avant le fait que les personnages ne se connaissent pas, c'est la raison même de leur amour. Ils ne se connaissent pas, ils projettent (ou du moins le héros projette) tout et n'importe quoi par rapport à l'autre (la dame s'en plaint d'ailleurs : vous ne me connaissez pas, ce n'est qu'une image, dit-elle). D'ailleurs, j'aime beaucoup les personnages. Leur caractérisation aurait pu être plus forte, mais en l'état ça reste suffisant à créer des situations uniques (entendez par là qu'avec un autre personnage, la scène se serait déroulée autrement).


La mise en scène est globalement satisfaisante. J'ai eu un peu de mal avec les premiers plans du film que j'ai trouvés maladroits et maniérés, mais j'ai fini par oublier ces petits détails, parce qu'au final, la caméra s'efface derrière l'histoire. Les moments les plus désagréables sont justement ceux où l'on nous rappelle que nous sommes au cinéma à coups de musique pompante ; ce n'est pas que la musique classique fasse défaut, c'est juste que les arrangement trouvés manquent de discrétion, qu'ils sont typiques d'une grande oeuvre mélodramatique là où le film n'est qu'un petit drame intimiste, un drame de la vie de tous les jours. Les acteurs sont bons : évidemment, il y a Luchini qui est formidable (pourrait-il en être autrement ?), qui trouve même le temps de nous réciter de la poésie et en face il y a Sidse Babett Knudsen que je ne connaissais pas et qui est pétillante, belle simple, charismatique, capable de prendre l'énergie de Luchini et de la lui renvoyer sans le moindre effort. Il y a une belle alchimie entre ces deux acteurs, j'en viens à me demander s'ils se connaissaient avant le film.


Bref, "L'Hermine" est un film qui m'a touché, qui comporte une structure narrative étonnante pour ne pas dire déséquilibrée, et une mise en scène parfois un peu maladroite, mais dont les situations et les personnages m'ont au final très emballé. Il faudra que je creuse la filmographie de ce réalisateur et que je me décide à regarder davantage de films avec Luchini.


PS : j'oublie de dire que le film fait évidemment penser à "12 angry men", surtout quand les jurés débattent de l'innocence de l'accusé. C'est sans doute la faiblesse du film, car l'auteur ne passe pas autant de temps que Lumet sur les raisons de l'innocence, sur le processus réflexif des personnages (est-ce que ça se dit?), du coup, on se demande, sur le moment, quel est l'intérêt de cette scène (même si on le devine un peu, on n'en a la certaineté que bien plus tard).

Fatpooper
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le 3 avr. 2016

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Fatpooper

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