« L’heure d’été » trouvera un écho plus qu’attentif à ceux qui ont subi cette situation, suite au décès du dernier parent survivant. Il décline avec justesse les séquences du deuil et cible chaque réaction possible des enfants à travers les personnalités d’Adrienne, Frédéric et Jérémy joués par trois acteurs grande classe. Mais Assayas pousse plus loin le réflexion en s’interrogeant sur ce qui restera de l’artiste et de son œuvre après sa mort. La construction se veut à tiroirs.

Sur le deuil des parents. Son regard est implacable, vraisemblablement inspiré d’un vécu. Les enfants ont constitué leur propre noyau de vie, occultant en partie l’enfance, et se souciant guère de l’âme du défunt, ce qu’il en reste ou en restera à travers, des objets, la maison familiale et surtout des sentiments, souvent ignorés. Leurs propres besoins pour orchestrer leur existence, les poussent bazarder, liquider, brader tout ce qui a façonné l’individualité du géniteur. Ce qui faisait le charme de l’enfance, la maison comme entité fédératrice, devient tout à coups un poids, un encombrant fardeau. L’appât du gain qui motive certain aussi, fait qu’il faut ramasser la mise, vendre au plus vite et qu’importe ce que cela représente ou a représenté. Le personnage de Frédéric, un temps résiste, voulant conserver le mausolée, mais très vite il se range à la raison des survivants. Les rancoeurs se cachent, les gestes d’amour se simulent pour la convenance. La souffrance se fait silencieuse, le défunt est définitivement mort.

Comme évoqué plus haut, l’intelligence du propos veut que l’artiste subisse le même sort. De l’état d’humain presque ordinaire qui s’est construit au gré de rencontres, d’observations il devient dans la postérité une espèce d’entité bancable, apprécié. Il est répertorié, catalogué, analysé sur son œuvre « pour le souvenir ». Son humanité disparaît avec ses contemporains, ceux qui l’ont côtoyés, aimés d’abord comme une humain. Sa vie personnelle s’étiole et devient un acteur désincarné de tel ou tel courant d’art.

Et l’utilité de l’œuvre dans tout cela ? Cette délicate question est aussi mise à mal dans le film. Assayas élève le débat. Il souligne que la compréhension de l’art se limite à une petite tranche d’individu, une élite. Elle seule peut cerner ce qui se cache derrière l’œuvre, estimer le talent, interpréter l’ambition de l’artiste, quitte à le trahir parfois. Pour le grand public, les musées sont objet de visite. Il passe devant les œuvres à la va vite, en consommateur distrait, voire blasé la scène du touriste avec son portable). Il n’absorbe qu’une infime partie de la richesse qui lui est proposée. L’artiste, quand il est côté est exposé, de grandes rétrospectives impersonnelles sont organisées selon des phénomènes de mode indéfinissables. Pour les autres, tombés dans l’oubli, au mieux ils sont mis en valeur avec un strict minimum ou sont carrément relégués dans les réserves qui regorgent de peintures, sculptures… d’artistes qualifiés un temps de génie et dont plus personne ne se préoccupe ou presque.

A travers ces réflexions, Olivier Assayas dresse un constat très sombre, presque Satrrien. Qu’il soit connu ou non, l’individu en tant que tel disparaît dès la minute de sa mort. On ne conservera de lui que la symbolique d’une vie, une interprétation. Tout ce qui a constitué son parcours disparaît de la mémoire collective à jamais dans presque tous les cas. C’est effroyable, mais tellement bien vu.
Fritz_Langueur
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Cinéma et peinture et Les meilleurs films de 2008

Créée

le 16 sept. 2014

Critique lue 1.5K fois

14 j'aime

9 commentaires

Fritz Langueur

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

14
9

D'autres avis sur L'Heure d'été

L'Heure d'été
Fritz_Langueur
9

Huis clos

« L’heure d’été » trouvera un écho plus qu’attentif à ceux qui ont subi cette situation, suite au décès du dernier parent survivant. Il décline avec justesse les séquences du deuil et cible chaque...

le 16 sept. 2014

14 j'aime

9

L'Heure d'été
Caine78
6

À l'heure des souvenirs

J'en gardais un souvenir presque ému : le revoir m'a laissé nettement plus dubitatif. Alors toutes les qualités ne se sont pas dissipées entre deux visionnages, évidemment. Le scénario est...

le 21 févr. 2018

6 j'aime

1

L'Heure d'été
Foxart
9

La vie des autres et des objets

Très joli film profondément émouvant, L'Heure d'été traite d'un sujet universel - la mort des parents et l'héritage qu'ils nous laissent - avec une grande intelligence, en évitant tout pathos et en...

le 8 août 2014

4 j'aime

Du même critique

Ni juge, ni soumise
Fritz_Langueur
8

On ne juge pas un crapaud à le voir sauter !

Ce n'est pas sans un certain plaisir que l'on retrouve le juge d'instruction Anne Gruwez qui a déjà fait l'objet d'un reportage pour l'émission Strip-tease en 2011. Sept ans après, ce juge totalement...

le 12 févr. 2018

59 j'aime

7

120 battements par minute
Fritz_Langueur
10

Sean, Nathan, Sophie et les autres...

Qu’il est difficile d’appréhender un avis sur une œuvre dont la fiction se mêle aux souvenirs de mon propre vécu, où une situation, quelques mots ou bien encore des personnages semblent tout droit...

le 24 août 2017

56 j'aime

10

Tale of Tales
Fritz_Langueur
9

La princesse aux petites poisses...

Indiscutablement « Tale of tales » sera le film le plus controversé de l’année 2015, accueil mitigé a Cannes, critique divisée et premiers ressentis de spectateurs contrastés. Me moquant éperdument...

le 3 juil. 2015

48 j'aime

11