Le cinéma d'Amérique latine, malgré le temps passant, nous reste encore assez peu accessible et surtout peu connu. D'où le fait que les décideurs des organisations "protectives" du cinéma sont décidément complètement à la ramasse quand ils osent dire que l'offre légale est de qualité. Il est désormais incontestable que le méchant téléchargement sur Internet est le garant de la pérennité d'une culture cinématographique mise à mal et que sans lui, cette culture serait réduite en bouillie. Certains diront que j'exagère mais essayez de creuser un peu et vous verrez rapidement les limites. L'Heure des Brasiers est l'une de ces nombreuses victimes et je le dis ouvertement et sans honte, le téléchargement est une bénédiction pour tout cinéphile. Certains oseront critiquer notre avarice, moi je leur dirai qu'ils n'ont qu'à améliorer l'offre pour changer les choses mais évidemment ça demande du boulot, de l'ouverture d'esprit et de la connaissance.
Car il est absolument inadmissible que L'Heure des Brasiers, par sa puissance historique et éducative, soit destiné à un tel mépris tant par ce qu'il montre que par ce qu'il dénonce. Comme vous le sachez sans doute, nous ne tenons pas là un film mais un documentaire sorti à une époque de moult bouleversements sociaux ayant éclaté aux 4 coins du monde (bien que certains eurent lieu avant 1968 mais là n'est pas la question). Mais plutôt que la France, le Japon ou la Tchécoslovaquie, c'est l'Argentine qui est mise à l'honneur. Avec 4h21 précises, et pas 4h15 comme précisé (oui j'adore ergoter), nos deux compères nous entraînent dans un douloureux et sombre périple d'un pays morcelé qui, comme beaucoup de pays d'Amérique du Sud, fut l'un de ces malchanceux à avoir goûté au totalitarisme, à la dictature militaire. Avec un parti-pris ouvertement anti-impérialisme américain et pro-révolutionnaire, L'Heure des Brasiers est un appel au soulèvement social, dénonçant les travers d'une nation qui s'est prostituée à la mondialisation, a prêté allégeance au mode de vie capitaliste américain qui a influé sur sa politique intérieure même.
Rien de nouveau sous le soleil. On connaît l'ingérence néfaste de l'Oncle Sam qui a foutu et fout encore le bordel aux 4 coins du monde pour ses intérêts personnels et son égocentrisme narcissique. Ce n'est ni un appel à la haine mais une vérité historique, d'où le fait que l'on n'arrive pas à condamner l'atmosphère propagandiste de L'Heure des Brasiers qui n'est finalement pas propagande mais dénonciateur d'une amère vérité qui dérange. Un exhibiteur abordant les sujets tabous de manière frontale. Pas d'héros principal car le peuple à lui seul est un héros et en 4h21 (et pas 4h15), il y en a des choses à raconter. L'Heure des Brasiers est un documentaire terriblement vaste abordant autant la mode que l'éducation et bien évidemment la démographie, les inégalités persistantes et la gigantesque fracture entre riches et pauvres. Accumulant les images d'archives dont certaines sont assez gratinées (les conséquences morbides des émeutes qui feraient passer Mai 68 pour une révolte de collégiens qui refusent de faire leurs devoirs), l'immersion est totale.
L'Heure des Brasiers est une oeuvre se vivant pleinement, tapant dans la fourmilière avec ses gros rangers. C'est la création d'un temps pas si révolu que ça quand on voit que les restrictions sanitaires aberrantes commencent à faire d'une grogne latente l'expression enragée et justifiée de gens qui en ont marre et veulent aspirer à retrouver leurs libertés dont on les a privés depuis déjà bien trop longtemps. Et ça ce n'est pas en Argentine mais bien chez nous.