L’après-guerre fut une période de reconstruction et de bouleversements pour le cinéma français. Après des années 1910 qui débutaient avec l’apparition et la création des premières « stars du métier », et la grande rivalité entre Pathé et Gaumont qui se poursuivait, les années 1920 virent notamment l’arrivée d’une nouvelle vague de réalisateurs portés sur la création d’un cinéma d’avant-garde, dont fait partie André Antoine, le réalisateur de L’Hirondelle et la Mésange.
Il est vrai que, lorsque l’on évoque des noms célèbres ayant marqué le cinéma français de cette époque, on pense à Abel Gance, Marcel L’Herbier, Germaine Dulac, ou encore Jean Epstein. Le nom d’André Antoine n’est pas autant resté dans la postérité, et pour cause. C’est principalement dans le théâtre qu’il fit carrière, montant un nombre considérable de pièces, tout en cherchant à faire évoluer son art vers de nouvelles conventions, encourageant le jeu d’acteur à être plus sobre et naturel. C’est sur le tard, en 1915, alors qu’il a déjà 57 ans, qu’il se tourne vers le cinéma. Travaillant notamment sur l’adaptation à l’écran d’œuvres littéraires, il transpose sa vision du théâtre au cinéma, en accordant une place importante à la nature, et en cherchant à éviter que le jeu des acteurs ne prenne trop de place à l’écran.
L’Hirondelle et la Mésange est sans aucun doute un film représentatif de sa vision du cinéma, dans ce qu’elle a d’intéressant, ainsi que dans ce qu’elle a de préjudiciable pour le cinéaste lui-même. L’intrigue du film est extrêmement simple, avec cette famille de bateliers qui sillonne les canaux de l’Europe du Nord, qui traverse les villes, et qui engage un pilote qui sera, fatalement, l’élément perturbateur de cet équilibre alors initialement présenté. L’histoire est aussi simple qu’elle ne semble apparaître que comme un prétexte pour rythmer ce voyage au fil de l’eau. En effet, André Antoine fait avant tout de L’Hirondelle et de la Mésange une succession d’instants de vie et de tableaux saisissants de nature et de ville dans lesquels évoluent ces personnages simples et modestes.
Des grandes fêtes traditionnelles à la quiétude des flots, en passant par l’étrange ambiance d’un bar en fin de soirée, les décors constituent un élément essentiel du film d’André Antoine. Plus que les acteurs ou l’intrigue elle-même, ce sont eux qui conditionnent et reflètent l’état d’esprit des personnages, et le ton global du film. Ce sont eux qui sont regardés par la caméra, et le spectateur promène son regard dans ces paysages. Autant qu’il demandait à ses acteurs de prôner une forme de « réalisme » au théâtre, il fait appel à des acteurs non-professionnels pour ses films, dont L’Hirondelle et la Mésange, pour atteindre cette authenticité qui lui tient à cœur. Exception notable, probablement, avec la présence d’un Pierre Alcover encore jeune, loin de l’imposant banquier qu’il incarnera en 1928 dans L’Argent de Marcel L’Herbier.
Même si l’histoire est très simple et largement diluée dans le film, celui-ci ne perd pas l’attention du spectateur, car on est surtout touché par cette proximité avec les personnages, cette capacité à se projeter dans leurs états d’âme et leur évolution, par la beauté des paysages, et l’authenticité qui émane de cette oeuvre. Une oeuvre au plus près du réel, au point d’être qualifiée de « documentaire » par Charles Pathé, un terme péjoratif de sa part dans ce cas précis, qui empêchera le film de sortir au cinéma à l’époque. Le monde du cinéma n’était probablement pas encore prêt, et l’avenir donnera raison au cinéaste, même si son nom tend à avoir été oublié, pour son oeuvre cinématographique tout du moins. Car nous percevons ici une forme d’influence sur de futures œuvres de renom, comme L’Atalante de Vigo, que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de L’Hirondelle et de la Mésange (au-delà du transport fluvial en guise de point commun), ou le mouvement néoréaliste qui va émerger dans les années 1940. L’histoire du cinéma continua son cours, finissant par rendre justice à André Antoine, longtemps après avoir réalisé son oeuvre.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art