L'Homme des hautes plaines par Wykydtron IV
Après avoir vu "Pendez-les haut et court", j'ai décidé de jeter un coup d'oeil à un autre western avec Eastwood que j'avais en DVD sans l'avoir encore vu : "L'homme des hautes plaines".
Peu avant ou peu après, je ne sais plus, j'avais lu cet article dans So film #4 sur les nains, où l'on citait notamment Billy Curtis, acteur du western farfelu "The terror of Tiny town" (avec que des nains) à qui Eastwood a fait le plaisir de donner un rôle dans son western. Ca m'a intéressé un peu plus à "L'homme des hautes plaines".
Première impression : c’est un film drôlement soigné.
Durant le générique de début et toutes les premières séquences, à l’arrivée en ville du personnage d’Eastwood, un étranger son nom (ce qui rappelle évidemment la trilogie de Sergio Leone), tous les habitants se tournent pour le suivre du regard, il n’y a pas de paroles, on entend juste le son du vent qui siffle sur ce décor presque désertique, et quelques oiseaux au loin. Travail du son appliqué, déjà.
Clint entre dans un saloon, et là on peut remarquer une organisation superbe entre les déplacements et mouvements des acteurs et les placements de la caméra, tout en gardant un cadrage intelligent : scène tendue assez classique au comptoir du saloon, où quelques gringos viennent chercher des problèmes auprès du nouvel arrivant dans la cité. Clint, toujours équipé de son chapeau de cowboy distinctif dans chaque western qu’il a tourné on dirait, garde la tête baissée, l’air nonchalant. On entend un pilier de bar rire, ce n’est qu’ensuite, quand Clint relève la tête, et par conséquent son chapeau, qu’on voit de qui il s’agit. Peu après, le cameraman suit les provocateurs se dirigeant vers l’entrée du saloon à la suite d’Eastwood, en se plaçant devant les battants de la porte ils cachent un moment le héros, mais la trajectoire de ce dernier fait qu’il réapparaît bientôt entre les bustes des deux personnages au premier plan. En plus de ça, j’ai eu l’impression que tout ce qui n’était pas présent à l’image à un moment, par un très bon timing, apparaissait au bon instant, celui où le spectateur veut voir.
Encore mieux ensuite, chez le barbier, où Clint file juste après avoir délaissé ses camarades au saloon : la caméra suit le déplacement du barbier jusqu’à son miroir, et à l’exact moment où ce dernier voit la réflexion des méchants arrivant vers son établissement, la caméra se retrouve dans le bon angle pour qu’on les voie aussi dans le miroir ; après ça, le barbier retourne à son client, Clint, et là c’est à l’arrière-plan que l’on voit les adversaires arriver.
La synchro est parfaite !
La composition est impressionnante, alors qu’elle est d’apparence simple. Toujours chez le barbier, quand Clint arrive, son reflet dans le miroir est encadré par le barbier, son propre reflet, et son bras tendu en train d’aiguiser sa lame. Evidemment on fait une association d’idées, surtout étant donné la grimace du barbier et son regard vers Clint, si caricaturaux qu’on croirait voir un méchant de film expressionniste allemand… dommage.
Il y a également cette scène que l’on voit de loin, entre deux planches d’une barrière ; à force on suit la scène sans prêter attention au premier plan, jusqu’à ce que le héros ne fasse remarquer sa présence auprès du spectateur (et des autres personnages de la scène) en posant son pied sur la barrière, sur laquelle il était assis.
Après avoir tué quelques personnes chez le barbier, Clint fait la rencontre d’une dame fort impolie. Il l’emmène dans un coin reculé, j’ai cru qu’il allait la fesser tout simplement, non, il la viole carrément ! Et sous le regard d’un nain (on est dans The sinful dwarf ou quoi ?) !
Fuck yeah, Clint. Un héros qui tue des méchants, c’est très commun dans le ciné américain, mais alors un héros qui viole quelqu’un dans une des premières séquences d’un film, on ne voit pas ça souvent. J’adore ce refus de la part d’Eastwood d’être hypocrite comme la plupart des américains qui tolèrent la violence de la part du héros dans leurs films, mais pas le sexe, oh ça non. Clint, dans sa caractérisation d’un personnage pêcheur, va jusqu’au bout.
Moi qui pensais que ce serait au moins comme dans "River of no return", où le viol est figuré par un baiser pris de force, non, Clint lui a vraiment l’audace de ne pas faire les choses à moitié. Je ne sais pas comment il a pu s’en sortir avec la censure.
"L’homme des hautes plaines" se distingue du cinéma traditionnel, et du western classique, de bien des façons. De paire avec cette audace évoquée ci-dessus, il y a une violence franche, notamment lors d’une longue scène de mise à mort au fouet où la victime se prend carrément des coups au visage, ou un meurtre assez perturbant où un homme se fait percer la trachée. Il y a également les dialogues crus, accompagnés de répliques coup-de-poing : "only problem you got is a short supply of guts", "I wont be eating with dogs – You might, if it’s a dog that runs the pack".
Je ne m'y connais pas trop en musique, mais j'ai également trouvé que celle de ce film était particulière et parfois très moderne.
C’est à ce personnage principal malsain que les habitants de la ville de Lago vont devenir dépendants, n’ayant pas d’autre recours pour se protéger de bandits que de se tourner vers lui. Le shérif, pour se le mettre dans la poche, lui promet de lui donner tout ce qu’il veut. Le personnage, aussi mauvais soit-il, est attachant pour le spectateur de par son audace et son esprit contestataire marrant : il profite de son pouvoir sur les habitants pour les faire chier, à donner des produits gratuitement à des indiens, ou à nommer un nain shérif.
C’est un parfait enfoiré, et c’est super, car on se marre vraiment bien grâce à lui.
"L’homme des hautes plaines" est un film drôle, impertinent, et pourtant mis en scène avec beaucoup de sérieux, les plans mémorables et les bonnes idées visuelles sont nombreuses.
Un très bon film.
EDIT :
Lu ça sur IMDb :
"Shortly after the film's release, Clint Eastwood wrote to John Wayne, suggesting that they make a western together. Wayne sent back an angry letter in reply, in which he denounced this film for its violence and revisionist portrayal of the Old West. Eastwood did not bother to answer his criticisms, and consequently they did not work together."
Ca ne m'étonne pas, en voyant L'homme des hautes plaines, je me suis dit que c'était l'anti-John Wayne.