Quand on s'appelle Louis Garrel, petit-fils du génial acteur Maurice Garrel, et fils du grand metteur en scène Philippe Garrel, qu'on a été régulièrement représenté comme une version contemporaine du merveilleux Jean-Pierre Léaud, on attend forcément de vous des films qui s'inscrivent dans une certaine "tradition", non plutôt dans l'élan de l'inoubliable Nouvelle Vague. Et pas un objet filmique aussi indécis que ce "l'Homme Fidèle", un film que l'on adorerait littéralement adorer, mais qui, vraiment, s'avère une sérieuse déception.
"L'Homme Fidèle" commence pourtant très bien, avec une scène enlevée et très drôle où un Louis Garrel se fait virer de chez lui par sa compagne enceinte et infidèle : c'est léger, surprenant, bien interprété, et on se réjouit d'entrer d'un si bon pied dans une comédie française moderne, certes ultra-parisienne, mais qui semble avoir l'ambition de retravailler les marivaudages rohmériens dont on a tous encore la nostalgie. Et puis, à mi-chemin, le scénario - pourtant co-écrit par le grand Jean-Claude Carrière - commence à tourner en rond, sans pousser aucune des pistes intéressantes esquissées jusque-là (le thriller paranoïaque, la comédie de mœurs truffaldienne, le "conte moral" à la Rohmer…). Garrel acteur continue à nous emballer, mais ses duos avec Laetitia Casta, qui peine à convaincre dans un rôle plus mûr inédit pour elle, et avec la très, très limitée Lily-Rose Depp, qui est comme un boulet accroché à chaque scène qu'elle doit "interpréter" (façon de parler…), font à chaque fois flop. Par contre Garrel, metteur en scène, semble faire de plus en plus de mauvais choix, comme ces terribles voix off, qui, comme c'est souvent le cas, trahissent surtout l'impuissance à faire advenir un vrai récit cinématographique.
En ne décidant jamais quel "genre de film" son "l'Homme Fidèle" devrait être, en ne faisant confiance ni à la parole, comme chez Rohmer justement, ni à l'image, comme dans les meilleurs films de son père, Garrel nous livre un objet flou, à la fois trompeur et finalement décevant : nous n'aurons au final ni jeu avec la morale ou avec les codes, ni portrait convaincant de trentenaires plutôt improbables... "L'Homme Fidèle" est peut-être finalement une tentative de "film du milieu", comme Truffaut les appelait, à mi-chemin entre un cinéma d'auteur français dont il ne retrouve pas la liberté de ton, et un cinéma plus populaire, plus facile, dont il n'a pas l'efficacité.
L'ultime scène, terriblement clicheteuse, traduit d'ailleurs le deuil de toute ambition narrative ou psychologique, et enfonce le dernier clou du cercueil : aussitôt sortis de la salle, nous aurons oublié ce film indécis et sans personnalité.
[Critique écrite en 2018]
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