Le titre du deuxième essai en tant que réalisateur pour Louis Garrel renvoie à la simplicité de son premier opus, Les deux amis, poursuivant une œuvre qui aborde le récit comme le ferait un recueil de nouvelles. Un travail resserré (le film atteint à peine l’heure et quart) qui nous laisse aussi des indices clairs sur la maturité progressive de ses préoccupations.
Voici donc le protagoniste dans une sorte de comédie du remariage qui fait de son ellipse première toute la force motrice : neuf ans durant lesquels un enfant sera venu au monde, une enfant sera devenue adulte et un couple aura maturé la possibilité des retrouvailles, à la faveur d’un enterrement qui va opportunément ouvrir et fermer le récit.
L’influence de la Nouvelle Vague se fait toujours sentir, mais il semblerait que Garrel n’ait décidé de n’en prélever que le meilleur, en gardant pour cap principal la sincérité de ses personnages et la possibilité à l’émotion de prendre ses aises. Ainsi de ce jeu très littéraire construit par la polyphonie des voix off, ces petites coquetteries sur les flash-backs (lorsque le personnage d’Eve, par exemple, corrige son apparence au sein d’un souvenir où elle n’est plus la petite fille qu’on avait vue jusqu’alors) et ces quelques regards caméras toujours assez subreptices. Il en va de même pour la caractérisation du milieu, la bourgeoisie forcément parisienne et quelques beaux salons de la République sur lesquels on ne va pas s’attarder, dans une valse-hésitation très française où la question de l’inconstance est sans cesse remise au centre des débats.
Mais Louis Garrel ajoute plusieurs cordes à cet arc narratif : d’abord, les potentialités du film noir, enfouissant quelques secrets aptes à renouveler les enjeux et dépasser la façade des bien jolis minois en présence, y compris celui de l’enfant, qui, en entrant dans la danse, permet aussi à un humour assez tendre d’émerger. Car c’est là sa principale préoccupation : donne la possibilité à ses personnages d’exister.
Sans qu’on s’en aperçoive totalement au premier abord, du fait d’une petite enquête et un enchaînement assez rapide des actions, L’homme fidèle est en réalité une exploration de la fuite du temps à plus longue échéance que les bornes de son récit. Plusieurs figures de l’enfance se distribuent sur la galerie des personnages, de Joseph, l’enfant rejouant un Œdipe suffisamment caricatural pour n’être pas pris au 1er degré, à Eve (Lilly Rose Depp, qui joue à merveille cette assurance nouvelle et éphémère de la jeune adulte) qui va avoir l’opportunité d’incarner au sens propre ses fantasmes de préadolescente. Mais Abel lui-même prolonge cette thématique, au cœur d’enjeux qui le dépassent et qui nécessite une organisation gérée en haut-lieu par les femmes.
Au sommet de cette instable pyramide trône Marianne (Laetitia Casta, royale en tous points) : elle qui a vécu et va prendre les rênes de ce jeu de l’amour et du hasard. La sérénité avec laquelle elle aborde l’élément perturbateur est superbe, et dessine la force de celle qui sait et va jouer une partie dans laquelle elle maîtrise les enjeux véritables : briser l’interdit, laisser le fantasme se réaliser, pour mieux lui opposer la sincérité sur la durée. La manière dont elle pousse son homme dans les bras d’une autre ajoute au mystère que pouvait lui conférer les soupçons fantasmatiques du fils quant à son possible rôle d’empoisonneuse. Radieuse, souriante, bloc de certitude masquant avec une force impressionnante les craintes qu’elle peut formuler quant à la dangereuse partition qu’elle se met à jouer, Marianne est le pivot du film, et un grand rôle de femme, de mère et de stratège.
La comédie sentimentale peut alors l’emporter, et jouer des différentes temporalités (l’illusion d’un recommencent possible de l’idéal amoureux, l’attente, le retour du manque et l’émergence des regrets) jusqu’à la course cathartique et comique vers la gagnante devant laquelle on se prosternera. La petite relance finale sur la fugue de Joseph était dispensable, et surligne un peu trop ce désir d’achèvement propre sur tous les enjeux, mais après tout, L’homme fidèle ne s’est jamais vraiment éloigné des modestes ambitions de l’apologue. Il a néanmoins su lui ajouter la tendresse et l’émotion qui peuvent souvent lui faire défaut.
(7.5/10)