J'ai une profonde affection pour Woody Allen et son oeuvre, que j'ai découverte relativement récemment. Avant de me lancer, j'avais entendu parler du poids des années palpable dans ses récents efforts; malgré cela, j'avais bien du mal à comprendre où les mauvaises langues voulaient en venir après avoir vu quelques uns de ses films les plus récents, à savoir Midnight in Paris, Magic in the Moonlight, et Vicky Cristina Barcelona. Les films avaient toujours quelque chose de profondément différent et d'intéressant, malgré les tics évidents du scénariste, et l'impression d'entendre Woody lui-même parler pendant certaines répliques.
J'ai quand même, par chance peut-être, réussi à éviter ses films les plus controversés, qualitativement parlant; du coup, les défauts que j'ai pu voir cités un peu partout me paraissaient peu importants face au plaisir que je pouvais tirer de chacun des visionnages.
Évidemment, après ces quelques aventures européennes, j'ai décidé de m'attaquer aux deux grands chef d’œuvres du début de sa carrière dramatique, Annie Hall et Manhattan. J'ai encore aujourd'hui un peu de mal avec Manhattan, malgré ses dialogues, son esthétique, sa musique...tout est à tomber par terre, vraiment. Non, le film qui m'a fait véritablement kiffer Woody Allen, c'est Annie Hall. Putain quel film. Ça déborde de sincérité de toutes parts, c'est à la fois d'une fraîcheur et d'une intemporalité incroyable dans le propos, et pour le coup on a vraiment l'impression d'avoir un aperçu de ce que c'est que d'être dans la tête de Woody Allen, avec qui je m'identifie totalement.
Pour cette raison, je n'ai pu m'empêcher de penser à Annie Hall durant l'agréable -sans plus- visionnage d'Irrational Man. Pourtant, dieu sait que ce film possède suffisamment de défauts du point de vue individuel, sans avoir à souffrir la comparaison avec un tel chef d’œuvre.
Ce qui frappe, c'est la vacuité de la philosophie dans le film, qui prend pourtant la majorité des répliques d'Abe Lucas, le personnage de Phoenix. Merde, la philo du perso principal de Magic in the Moonlight était bien plus approfondie que celle de Abe, qui se contente de citer un auteur, puis de balancer vite fait une phrase convenue pour dire son avis. Bon, il y a bien quelques scènes, comme celle de la roulette russe; mais pareil : Hop, il fait joujou avec le flingue, sort une phrase, puis on passe au jour suivant. J'aurais aimé plus d'explication sur le dogme prôné par le personnage, pas juste une démonstration d'un côté autodestructeur qu'on a déjà vu cent fois ailleurs. Tout est d'une superficialité assez incroyable en fait, en témoigne la voix off, omniprésente dans la seconde moitié du film. Je veux pas qu'Emma Stone me raconte que Phoenix lui a fait une tirade sur la chance et l'aléatoire, je veux l'entendre de sa bouche. Il y avait de quoi faire un sacré film d'au moins 2H30 avec de la substance, du propos, et au diable le rythme.
Le film donne l'impression que l'ambition présente quand le projet était au stade d'idée a disparu graduellement au fil de son exécution, pour ne laisser au final qu'une espèce d'ébauche fainéante.
Idem pour les rapports humain. Le copain d'Emma Stone, par exemple, revient en gros trois fois dans le film pour réciter la même réplique (« Bouh je suis jaloux, Abe Lucas c'est quand même un type trop cool. Me trompe pas steuplait »). On peut comprendre que Woody ait voulu le rendre insipide volontairement pour contraster avec le charisme et l'aura du personnage de Phoenix, mais là c'est juste paresseux au possible. La seconde moitié du film est particulièrement ridicule, allant de coïncidence en coïncidence, et donne du coup une allure assez gratuite à la fin notamment. Woody semblait résolu à faire tomber l'un de ses personnages par tous les moyens, sans vraiment se soucier des rapports instaurés entre les personnages en début de film.
La narration manque, entre autre, d'homogénéité : Après le visionnage, j'ai eu la désagréable impression d'avoir vu deux films différents, alors qu'aucun ne semble apporter quoique ce soit à l'autre. La romance de la première partie disparaît au profit d'une histoire de meurtre plutôt convenue, alors que les deux devraient se superposer et véritablement compliquer le tout. C'était le cas dans Match Point, paraît-il.
Woody semble tellement déterminé à nous mener en bateau qu'il laisse ses personnages sur le carreau, c'est dommage. Bon, j'ai quand même trouvé la fin sympathique, malgré une impression désagréable de gratuité; sérieusement, tout ça pour un retour au statu quo ?
Malgré tout, le film reste très agréable à regarder, avec ses paysages ensoleillés et Emma Stone, d'une fraîcheur indéniable, comme toujours. Après, vu la durée totale du film, heureusement qu'on s'ennuie pas trop, j'ai envie de dire.
Une première déception de la part de Allen donc, qui aurait sans doute dû bosser un peu plus le script, quitte à sortir le film plus tard. Si c'est pour sortir quelque chose d'aussi inoffensif et vain tous les ans, ça me tue de dire ça, mais autant s'abstenir.