Woody Allen est un cinéaste intelligent qui eu un début de carrière novateur peuplés de comédies de mœurs féroces et inventives devenant un artiste culte et indispensable. Néanmoins je n'ai jamais été un grand fan du monsieur et de son style parfois bien trop prétentieux. Ses dernières œuvres étant d'ailleurs des films complaisants, paresseux et tournant très vite en rond, Allen n'ayant pas réalisé de films digne de ce nom depuis Match Point en 2005. Le revoilà donc avec son film annuel, maintenant aucune années ne passent sans avoir son Woody Allen, et comme chaque années ses fans attendent un miracle pour le voir revenir au sommet de sa forme. Muni d'un casting encore une fois prestigieux, Allen est-il en bonne voie pour bousculer l'ordre établi ?
A première vue on pourrait dire que non, Allen fait du Allen, à savoir une comédie existentialiste très romancée. Néanmoins il ne faudra pas longtemps pour ce rendre compte qu'un petit quelque chose à changé, ici Allen est en mode mineur apprenant ce qu'est la mesure. Car même si il bâtit toujours une oeuvre quelque peu prétentieuse à travers les leçons de vies exposé à travers son personnage masculin mais ici il nuance son propos au travers de son personnage féminin qui apporte plus d'humanité et de retenue. Cette conversation philosophique entre les deux personnages devenant alors tout de suite plus passionnante et universelle. Le personnage féminin à par contre une conception de la vie moins intéressante, plus rationnelle alors que dans les perceptions de la vie et de la mort de son personnage masculin, qui trouble l'ordre de la bien-pensance, le film expose des idées novatrices, terrifiantes et surtout loin d'être entièrement fausse. Le crime est-il le seul moyen de s'extirper de la monotonie de la vie et y reprendre goût ? Autour de cette réflexion Allen revisite son Crimes et Délits en plus cynique et virtuose. Car ici tout est d'une virtuosité sans pareil, alors que le personnage principal parle d'une vie qui n'a pas de sens, on se retrouve ici au sens obscur de la vie et de son ironie diablement savoureuse. Le film devenant d'une noirceur terrible et vertigineuse lors de la deuxième partie du récit utilisant de manière brillante et subtile des setups/payoffs que l'on ne voit pas venir et qui nous frappe de plein fouet lorsqu'ils sont mis à utilisation lors d'un final intelligent et très drôle. Même les voix-off des personnages qui peuvent être des artifices gênants la narration sont ici habilement employées entretenant les deux visions différentes d'un même monde et entretenant aussi le mystère du film. Le scénario ne laisse au final rien au hasard, tout est admirablement pensé et de cette maîtrise presque diabolique Allen alimente la force méta de son oeuvre qui fait écho même avec la vie. Elle se montre courte, intense mais aussi insondable et pleines de surprises ainsi que de noirceur.
L'ensemble est soutenu par un casting absolument parfait et très attachant. Le duo Joaquin Phoenix et Emma Stone fonctionne à merveille. Elle se montre lumineuse et expose tout son talent avec justesse dans une prestation complexe qui brasse beaucoup d'émotions. Elle s'impose comme la nouvelle muse de Woody Allen et sert admirablement son film par sa prestance et son charisme. Joaquin Phoenix n'est pas en reste non plus, dominant le récit par l'intensité de son charisme et la force de son jeu. Il est comme à son habitude magnétique, juste et brillant.
Pour ce qui est de la mise en scène, ici aussi Woody Allen est en mode mineur mais cela sert plutôt bien le propos du film. Il mise sur une réalisation classique et linéaire reflétant les banalités de la vie, l'ensemble étant très maîtrisé et disposant de quelques plans assez ingénieux. Il est au plus près de ses personnages et retranscrit avec délicatesse leurs tourments quotidiens évitant l’esbroufe. Au final l'aspect impersonnelle de la mise en scène ne dérange pas et sert admirablement le film, surtout que la photographie offre quelques beaux panoramas et que la musique se montre habile et entraînante.
En conclusion Irrational Man est un film brillant et admirable qui fait revenir le bon vieux Woody Allen en grâce, qui signe ici ce qui est probablement une de ses meilleurs œuvres. Certes il ne réinvente pas son style et il ne change pas drastiquement son cinéma mais il pose un regard nouveau sur sa propre carrière, faisant un best off de ses meilleurs films, la prétention en moins et la mesure en plus. Beaucoup verrons donc un Allen en mode mineur mais au final c'est ce qui fait la principale force de ce film. Il est génialement écrit, bien mis en scène et parfaitement joué tout en étant une oeuvre parfaitement cohérente et lourde de sens, tout est ici intelligemment pensé. Il semblerait donc bien que Woody Allen vient de signer un petit chef d'oeuvre ou assurément un grand petit film.