L’Homme qui a vendu sa peau trouve dans l’art et son marché un biais audacieux au travers duquel aborder d’une part la migration causée par les régimes dictatoriaux et terroristes, d’autre part notre regard occidental sur ces réfugiés. La valeur du film de Kaouther Ben Hania tient justement à faire du scandale artistique un moyen de renouveler notre regard sur une réalité que nous méconnaissons et qui nous laisse souvent indifférents : il faut que le corps du migrant s’expose, s’exhibe, dénudé devant des foules, entouré d’objets hors de prix, pour que le spectateur se rappelle qu’il a ce corps en commun, pour qu’il s’interroge sur l’esthétique et les limites éthiques de son expression.
Il y a donc à la fois dénonciation des travers de l’art contemporain et éloge de la puissance des paradoxes que l’art contemporain soulève, soit l’idée selon laquelle exploiter un être humain en faisant de lui un modèle lui permet de recouvrer son humanité et sa liberté. Nous reconnaissons là un même réquisitoire contre l’hypocrisie d’une certaine élite intellectuelle que menait il y a peu Ruben Östlund dans The Square (2017), dans la confusion entre un happening et la réalité, dans l’irruption de la bestialité primitive au sein d’un cadre normé et aseptisé – l’homme-primate d’un côté, le terroriste aux oreillettes de l’autre. L’intelligence du film de Kaouther Ben Hania réside également dans l’intrigue sentimentale qu’il tisse en parallèle et qui offre un fil directeur à la révolte de Sam Ali : la prostitution de son dos n’a d’égale que le mariage forcé d’Abeer, quoique la première ouvre à terme une porte de sortie et permette la réunion des deux amants.
Malgré facilités, lourdeurs et répétitions, L’Homme qui a vendu sa peau s’affirme telle une œuvre audacieuse et mise en scène avec talent qui s’empare d’un problème de société pour mieux l’insérer dans une réflexion plus générale sur l’esthétique contemporaine.