L’année de sortie de ce film de Huston a de quoi surprendre : alors qu’en 1975, le blockbuster est en train de naître (c’est l’année de sortie de Jaws) une telle épopée d’aventure semble appartenir à une époque révolue, celle des années soixante et des grands films de Lean ou de Kurosawa. Mais en matière de modernité, le cinéaste s’est déjà bien manifesté, et on comprendra rapidement en quoi sa fable est atemporelle.
Si le titre et la structure en flash-back annoncent déjà bien des désillusions, c’est tout d’abord sous le prisme du charme que le récit va poser ses jalons : avec la complicité de Kipling lui-même, auteur de la nouvelle éponyme, et par le biais de cartes, de médailles, ou d’un contrat d’abstinence fantasque, la dimension littéraire et romanesque de l’entreprise ne cesse d’être soulignée.
Au service de cette joyeuse farce, l’ingrédient suprême est celui du casting : britannique en diable, le duo Michael Caine / Sean Connery atteint les sommets dans la sophistication, et colore l’aventure d’un raffinement inégalable. Il faut les entendre deviser sur leurs ambitions avec ce sourire énigmatique, dont ils ne se départiront presque jamais en dépit d’un périple aux hostilités croissantes.
Car c’est aussi là que réside la magie du film : dans la gradation monumentale qu’il construit : aux décors majestueux succède la découverte d’une civilisation et le nombre croissant des sujets à gouverner : du village, on passe à la ville sainte, des civils aux grands prêtres et des babioles aux fabuleux trésors que seules les mythologies peuvent offrir.
Le plaisir à voir nos deux énergumènes devenir des dieux dans cette irrésistible ascension est déjà coloré d’une certaine lucidité : tout semble trop facile, et on attend avec intérêt de voir par quels biais la supercherie sera mise au jour. Huston n’a pas son pareil pour mettre en place cette ambivalence fondée sur un enthousiasme à double détente : celui lié à l’aventure romanesque, en attente de dévastation par la leçon humaine.
De ce fait, l’aisance avec laquelle on exploite les ressorts du culte du cargo et la condescendance qu’il entraîne pour les autochtones ne fait jamais illusion : si les personnages nous font sourire par leur culot et l’aspect picaresque de leur quête, c’est aussi et surtout leur mégalomanie et la dérive de leur assurance qui font la force de leurs parcours. Les foules sont de plus en plus grandes, les costumes bigarrés, les femmes exotiques, les richesses rutilantes : à chaque fois, en sous-titre, s’accroît la sentence « plus dure sera la chute ». Et le Dieu qu’est Daniel sait qu’elle sera à la hauteur de ses ambitions, dans une scène finale majestueuse de grandeur où un pont suspendu traduit avec une merveilleuse ironie la scène instable sur laquelle il composait son rôle depuis le début.
Huston l’a compris très tôt : pour qu’un film d’aventure passe du divertissement à la grandeur, il faut lui insuffler la saveur singulière de l’échec. L’homme qui voulut être roi conjugue admirablement ces forces antagonistes, comme le faisait déjà, presque 30 ans plus tôt, Le trésor de la Sierra Madre.