L'hameçon cassé : de la nécessité de la mémoire, fil de la vie

J’ai bien aimé ce film, malgré des petits défauts que je présenterai plus loin. Son atmosphère particulière, celle d’une zone portuaire à l’abandon peuplée de pauvres gens, sous de belles lumières, qu’on ne voit pas en France (on est à Helsinki). Son humour, par exemple avec l’avocat qui mouche agréablement le flic zélé, ou le personnage principal qui révolutionne le groupe de musique de l’armée du salut en l’orientant vers le rock (modérément, tout de même), alors qu’il était spécialisé dans les chants à caractère religieux ; les dialogues décalés avec un humour pince sans rire qu’on n’aurait pas forcément imaginé dans ce genre de film. L’accent mis sur l’importance de la musique aussi est agréable, pour essayer de se rappeler, pour passer le temps ou penser à autre chose.

J’ai apprécié également la présentation humaniste de ces petites gens vivant dans des conteneurs, individus plein de dignité faisant face à la dureté des représentants de l’Etat ou de l’autorité (police ou membres de l’équivalent de l’anpe) , la présentation d’une société néolibérale qui ne fait aucun effort pour s’adapter à ceux qui sortent de la normalité, une société dure et violente qui n’offre à certains marginaux que le rejet et la mort. Une société dans laquelle le salut ne peut venir que des individus du même milieu ou d’associations qui œuvrent pour aider les miséreux, comme ici l’armée du salut.

C’est aussi peut-être un défaut du film, les personnages sont un peu trop manichéens : les représentants de l’Etat, rigides, le policier raciste, le « marchand de sommeil », face aux gentils pauvres et aux gentils pas beaucoup plus riches mais qui les aident. Les personnages principaux, marginaux, sont présentés sans misérabilisme, et c’est heureux, mais ils sont décrits presque trop positivement.

Le scenario comprend aussi quelques maladresses, des éléments improbables sans que cela apporte quoi que ce soit. Et surtout, certains thèmes passionnants ne sont qu’à peine effleurés. Le héros a perdu la mémoire, il ne sait pas qui il est et n’a plus aucun repère. Des questions se posent, nécessairement : un homme sans passé peut-il avoir un avenir ? Peut-on vivre sans passé, et même sans présent ? Qui est-il ? Qu’a-t-il bien fait dans sa vie passée ? Que faire, alors qu’on a recréé une nouvelle vie, lorsqu’on apprend qu’on avait une vie avant ? Cette dernière question n’est qu’effleurée à la fin du film, ce n’est pas son sujet, et c’est un peu dommage, je trouve.

Markku Peltola incarne admirablement cet homme sans passé qui semble accepter rapidement son nouveau destin. Mais je trouve la direction des acteurs trop rigide : les comédiens ont un jeu tout en retenue qui convient bien à la dignité que leur accorde Kaurismäki mais qui les rapproche un peu trop de la caricature. On a l’impression qu’il ne faudrait pas que les pauvres explosent de joie, ce serait peut-être indécent : il n’y a aucune trace d’exubérance ou de folie, la joie d’Irma, par exemple, au retour de son homme, est à mon goût beaucoup trop retenue ! L’impression donc qu’on est un peu moins dans le vrai et trop dans la construction, que le réalisateur n’a pas laissé beaucoup de place à l’improvisation de ses acteurs…

Ceci étant dit, malgré ces remarques, il n’en reste pas moins que Kaurismäki a su filmer, avec tendresse et humour ces petites gens qui méritent mieux que le mépris qu’on leur adresse trop souvent, ce qui est appréciable.
socrate
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le 19 avr. 2013

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socrate

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