En 1979, Raoul Ruiz coréalise avec l’écrivain Pierre Klossowski un documentaire fictif intitulé L’Hypothèse du tableau volé. Le personnage principal, un collectionneur, possède une série de six tableaux du peintre Frédéric Tonnerre. Il est convaincu qu’il manque à sa collection un septième tableau qui aurait disparu. Il se trouve que ces toiles, pourtant d’apparence anodine, firent l’objet d’un scandale à leur époque. Pourquoi ? Pour répondre à cette question, et confirmer l’hypothèse du tableau volé, le collectionneur va procéder à l’examen minutieux de chacune des toiles.


Tableaux vivants
Pour tenter d’y voir plus clair, le collectionneur va reconstituer chaque toile sous la forme de tableaux vivants, des mises en scène grandeur nature réalisées à l’aide de figurants. Celle qu’il pense être la première de la série, Diane au bain surprise par Actéon, est ainsi reconstituée en extérieur dans le parc du manoir dont il est le propriétaire. Ce faisant, le collectionneur devient metteur en scène à l’intérieur du film de sorte qu’on assiste à un enchâssement des points de vue. La caméra de Raoul Ruiz filme le collectionneur, qui regarde Actéon, qui espionne Diane, eux-mêmes observés par une tierce personne. Ce à quoi il faut ajouter notre propre regard, celui du spectateur. Avec cette mise en abîme, Raoul Ruiz, suggère que tout est question de focale. Qui est celui qui observe ? Et qui donne à observer ?


Une réflexion sur la représentation cinématographique
" L’art ne montre pas, il fait allusion !" répète à l’envi le collectionneur contestant la légitimité de toute forme d’interprétation des images. L’importance des miroirs et des masques dans la relation entre les tableaux, objets déformant ou occultant la réalité, étayent l’idée que la représentation est avant tout affaire de simulacre. Au narrateur, qui lui rétorque que les indices laissés par le peintre sont pourtant bien visibles, le collectionneur répond « Spéculation ! », sous entendu que toute observation (speculare=observer) contient une part de mystification. D’un tableau à l’autre ce sont ainsi les principes mêmes de l’écriture cinématographique qui sont questionnés : champ et hors-champ dans la première scène, plans et cadrage dans la seconde, l’éclairage dans la suivante, etc..


Indices éparpillés façon puzzle
La question suivante que pose le collectionneur est celle des liens qu’entretiennent les six tableaux. Comment la scène de la Diane au bain répond-elle à celle des deux Templiers jouant aux échecs ? Le tableau n°5, intitulé Scènes de la vie de famille, est-il si anodin qu’il parait ? Ce sont quelques uns des questionnements de cette enquête artistico-policière très stimulante. A chacun de retrouver les références littéraires et mythologiques, les clins d’œil et détails intrigants cachés dans le film. Un jeu de (fausses) pistes marqué par l’intertextualité (ou l’Ekphrasis pour reprendre un terme cher à Klossowski).


Le tableau volé : de l’art ou du cochon ?
Mais quid du fameux tableau volé ? On apprend par le biais du collectionneur que la police avait découvert l’existence d’une cérémonie outrageuse dans les murs du manoir. Face à une telle accusation, Frédéric Tonnerre aurait argué qu’il s’agissait là d’une reproduction grandeur nature d’une de ses toiles : le fameux tableau volé. Avec cette pièce manquante du puzzle, Raoul Ruiz, s’amuse à interroger le spectateur sur sa propension à générer ses propres représentations. Volé, absent, case vide, le tableau manquant est sujet à tous les fantasmes. Que représentait-il ? Une orgie sexuelle comme pourraient le suggérer les indices laissés par Raoul Ruiz ainsi que l’érotisme sulfureux des tableaux vivants de Klossowski ? Qu’importe, en ne donnant aucune réponse à l’énigme du tableau volé, le metteur en scène piège le voyeur qui est en nous, nous laissant interdits et frustrés par cette conclusion dénuée de tout spectaculaire.


Un film passionnant et esthétiquement réussi (superbe photographie en noir et blanc de Sacha Vierny).


8/10 ++


Critique publiée sur le MagduCiné

Theloma
8

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le 15 avr. 2020

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