Un idiot, une sorte d’anomalie suicidaire et catastrophique, perçu comme un malade simplet et dangereux qui empêche le monde de tourner rond, voilà ce qu’on devient quand on est seul au monde à s’agiter pour le bien et la responsabilité en Russie. C’est ce qui arrive à ce plombier, étudiant en 2ème année d’ingénierie, quand il réalise lors d’une intervention dans un immeuble de banlieue populaire qu’il s’agit d’un taudis insalubre, dont la périlleuse vétusté, due aux fonds sempiternellement détournés, n’a jamais bénéficié de la moindre réhabilitation depuis 40 ans, et menace de s’écrouler et de tuer les 820 occupants peut-être dans les 24H. L’alerte qu’il donne auprès des autorités urbaines et municipales déclenche une prise de conscience des conséquences d’une corruption généralisée et une panique totale à tous les étages. Mairie, pompiers, hôpitaux, Logement, Police, assainissement, fonctionnaires et employés à tous les échelons, voient soudain le masque de leur forfaiture sur le point de tomber. Loin d’éveiller un sursaut de bon sens ou de responsabilité, ce panier de crabes explose de trouille hiérarchique, de lâcheté administrative, de déni de réalité et de culpabilité, de retranchement, de rejet de la faute, d’égoïsme et de mépris de son prochain, suscitant stratégies abjectes et échappatoires les plus extrêmes.
Youri Bykov glace le sang et témoigne, dans la solitude et l’absence d’espoir, de la crasse morale comme physique de tout un pays encroûté dans une médiocrité auto-entretenue. La dénonciation d’un système pourri du cœur aux extrémités, atteignant le pauvre héros jusque dans l‘intimité de sa propre famille, d’une suprématie de la corruption et de la brutalité, autant dangereuse que pathétique, est évidement au cœur du film, tant de la part d’une populace barbare peuplée de casseurs, d’alcooliques, de voleurs et de menteurs, que des pouvoirs publics dont le même esprit s’applique à un autre niveau. Ce drame russe est un pamphlet sociétal incroyablement affolant de vraisemblance. Au-delà d’une nomenclature dégoulinant d’autosatisfactions, de politesses professorales et d’autorités cravataires, se cache une pègre populaire totalement gerbante qui permet au film de nous éviter le piège d’une lutte de classes périmée mais bien de cibler l’accusation de toute une culture.