Un film noir très bien ficelé. En fait, il est même trop bien ficelé. Au point qu'on peut percevoir, avec nos yeux d'aujourd'hui, les ficelles parfois trop évidentes. C'est le reproche qu'on peut faire au scénario, il ne laisse pas beaucoup de surprise. Mais c'est un fait dû à notre expérience du cinéma au 21ème siècle. Il ne fait aucun doute qu'à l'époque le film devait être remarquable. Car comme je l'ai dit, tout est très bien construit, et le réalisateur sait, par exemple, changer de point de vue et passer du côté des malfrats au bon moment afin de lâcher ou, au contraire, relever la tension. Il distille également les informations avec ingéniosité.
Les dialogues sont fins et drôles; c'est un véritable plaisir de suivre les déambulations de notre héros, pris au piège, ainsi que ses méthodes de flirt avec sa secrétaire. Car l'humour n'est pas absent de ce métrage : le plus mémorable reste sans doute l'impression des policiers et du détective sur les œuvres d'art dans la galerie, en comparaison avec les extases ressenties par les petits bourgeois plus tôt dans le film.
Techniquement, la caméra est toujours bien mise, laissant ainsi le contraste noir et blanc tranchant émerveiller le spectateur. Le film est parfaitement rythmé, les tentatives de drague viennent relâcher la tension, et les évènements décrits en parallèle plongent le spectateur dans le secret sans jamais trop en révéler. Le seul défaut technique que l'on pourra noter est la chute de la brute, mais bon... il s'agit d'un film de 1946... on remarquera tout de même que la technique est encore utilisée aujourd'hui , peut être avec un meilleur effet, une meilleure incrustation, mais ça reste similaire.
L'interprétation des acteurs est plutôt sympa. Le héros est du genre un peu grande gueule, dragueur, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Un héros comme on en voit peu aujourd'hui mais commun à l'époque. On retrouve également le Waldo de 'Laura' dans un rôle similaire, celui du vieil homme bourgeois, possessif et amoureux de la jeune et somptueuse Cathy Downs (quel visage magnifique!). Les femmes ne sont pas mises de côté contrairement à beaucoup de films aujourd'hui; l'assistante sert à autre chose que de mettre le héros en valeur, et la jeune mariée, victime, nous marque par sa naïveté.
Le film reste également un témoignage d'une époque: la mise en scène passe souvent par le biais d'évènements du quotidien assez banals, tel que le laitier qui passait chez soi, les nombreux taxi jalonnant la route, ... mais c'est aussi dans les thématiques et l'esthétique que le film reste fidèle à son temps. Bref, une véritable étude sociologique.
Il s'agit donc d'un film d'une grande classe, parfaitement mis en scène, dont le seul reproche au fait que le scénario paraît aujourd'hui, malgré sa solide construction, prévisible par moment. Mais Henry Hathaway ne pouvait sans doute pas savoir que ce type de film aurait été fait et refait tellement de fois, aujourd'hui encore, que ça en semble prévisible (un peu comme ce bon vieux Colombo qui ressasse sans arrêt les mêmes outils narratifs).