Le précédent film d’Asia Argento, Le livre de Jérémie (qui porte le beau titre original de Love is deceitful above all things) était un concentré d’enfance maltraitée. A l’époque du film, le livre de JT Le Roy dont il a été tiré était censé être autobiographique, ce qui rajoutait du drame à l’histoire. Il s’est avéré par la suite que c’est une femme et non un homme qui a écrit cette terrible histoire qui est en plus totalement fictive. Il n’empêche qu’Asia Argento en a fait quelque chose d’infiniment vrai. Le petit Jeremiah est un enfant balloté entre une mère plus que borderline et des grands-parents maternels chrétiens fondamentalistes pas beaucoup plus rassurants, ainsi que divers « nouveaux papas » bourreaux, violeurs, pédophiles, jamais aimants. Asia Argento y jouait le rôle d’une mère-marâtre, hystérique, prostituée, droguée, incapable de s’occuper d’elle-même sans parler d’autrui, mais une mère émouvante malgré tout. Un très beau film « destroy » que d’aucuns n’ont pas hésité à classer de majeur dans la veine underground punk.
Son nouveau film, Incompresa (l’incomprise) est un film italien, presque à l’italienne pour le ton qu’elle utilise (le titre est d’ailleurs une référence directe à l’Incompris de Luigi Comencini), et qui vient en droite ligne du précédent tout en étant son antithèse. En effet, l’enfance est ici encore malmenée, celle d’Aria no, jeune romaine de 9 ans coincée entre deux demi-sœurs, Lucrezia la fille de son père qu’il adore, et Donatina , la fille de sa mère qu’elle vénère. Née de deux parents artistes, hallucinés, égotiques, Aria hurle en silence (« Il y a plusieurs façons de pleurer, moi je pleure avec dédain » dit-elle joliment) son besoin d’être comprise, à défaut d’être aimée.
A force de préoccupations narcissiques de l’un et de l’autre, les parents se déchirent en permanence et assez violemment et finissent par se séparer. Aria reste avec sa mère, mais bientôt, cette femme (impeccablement interprétée par Charlotte Gainsbourg) en quête de reconnaissance elle-même aussi, happe divers hommes et disparaît de longs moments avec eux. Aria est alors obligée de naviguer entre ses deux parents, avec Dac, un chat noir tout aussi abandonné qu’elle, le seul dit-elle qui sait quand elle a besoin de câlins. Sa vie se complique d’un amour de jeunesse contrarié, d’une amitié pas si indéfectible qu’elle l’aurait voulu, bref la vie d’Aria n’est pas un long fleuve tranquille.
Par moments, le film, qui a par ailleurs une coloration punk assez vive (vêtements, décorations intérieures, maquillage…), est tourné dans des tons presque pastels, comme par exemple le bleu de la robe de la petite Aria quand elle se balade dans la ville, le jour et la nuit, entre les deux maisons, telle une petite funambule le long des trottoirs, avec son baluchon d’un côté et la cage de Dac de l’autre. On sent une infinie tendresse, une infinie indulgence de la réalisatrice envers cette petite fille, et même si elle se défend plus ou moins mollement d’avoir écrit un récit autobiographique, on peut difficilement éviter le parallèle avec les détails de la propre vie d’Asia Argento (deux demi-sœurs, parents célèbres et séparés, jusqu’au prénom Aria qui est l’un de ses six prénoms !).
Reprenant donc ce thème de l’enfance malmenée qui visiblement travaille Asia Argento, le film apparaît cependant beaucoup plus assagi que le Livre de Jérémie, partant moins dans tous les sens, flirtant moins avec les excès en tous genres. Le film d’une femme peut-être apaisée, une femme qui dit être lasse de jouer sans cesse la provocation et l’outrance pour attirer l’attention sur elle, une femme qui veut montrer ce qu’elle est vraiment derrière toutes les couches d’excès qu’on lui connaît : une enfant timide et terriblement seule. Venant d’un autre, cela pourrait paraître simpliste, voire niais, mais la sincérité de la démarche d’Asia Argento rajoute de l’intérêt à un film bien réalisé par ailleurs.
La direction des petits acteurs est notamment une réussite, et de la petite Giulia Salerno en particulier, quand on sait à quel point il est difficile de faire jouer juste des enfants dans des rôles dont ils ne comprennent pas forcément tous les enjeux quand les films sont plus ou moins trash. Asia Argento utilise des effets de cinéma qui tombent souvent justes, comme par exemple cette belle image de Pietà un peu choc entre Aria et sa mère dans un des rares moments d’intimité entre les deux, ou encore les jeux de couleur qu’elle utilise intelligemment en fonction du moment (rêveries, cauchemars, réalité, etc)
L’utilisation de la musique, plus punk rock que jamais, apporte également un contrepoint intéressant à un film dont le sujet est quand même triste et source de désolation, même si des moments de vraie complicité, peut-être de bonheur, avec chacun des deux parents sont mis en scène.
Soulignons le travail gigantesque de Charlotte Gainsbourg qui décidément est une actrice majeure de notre temps, capable maintenant de jouer à peu près tout, Lars von Trier comme Nakache/Tolédano, Argento comme Spinosa ou encore Benoît Jacquot, pour ne citer que les films les plus récents. Son interprétation de cette mère indigne et perdue en même temps est fabuleuse.
L’incomprise est un film émouvant, triste et joyeux à la fois, un film qui ne juge pas. Les adultes font ce qu’ils peuvent dans le monde chaotique qui est le leur, ils font même mal quelquefois, mais Asia ne juge pas, et Aria ne juge pas : elle veut juste qu’on la comprenne. Enfin.