La Femme en Bleu
Comme ce fut le cas avec "Madre" il y a quelques semaines, "l'Infirmière" est un film desservi par sa bande annonce - qui en dit trop, comme beaucoup de bandes-annonces -, par son slogan inepte...
Par
le 15 août 2020
19 j'aime
7
Le cinéma de Kôji Fukada trouve à présent plus de cohérence et de consistances, dès lors que le mystère qu’il entretient caresse davantage son ambiguïté. Dans la lignée de son succès cannois « Harmonium », le metteur en scène japonais frappe de nouveau là où on ne l’attend pas, à savoir dans le reflet de ses personnages. Il reste fasciné par deux entités féminines, mais c’est bien l’héroïne qui dominera le récit, au détriment de nous autres spectateurs, qui chassons allègrement chaque indice nous permettant d’identifier les enjeux. Mais ironiquement, le réalisateur se permet de nous laisser quelques coups d’avance, afin de mieux briser les apparences et l’équilibre d’une société. Le hasard peut bien faire les choses, mais il ne saura pas libérer les protagonistes de leurs doutes et de leurs désirs.
Un changement de coupe nous introduit d’entrée de jeu deux temporalités complémentaires. De cette décision en découle une narration d’une effroyable précision chirurgicale, bien qu’il faille patiemment attendre la mise en place avant que tout finisse par imploser. Cela nous permet tout de même de nous familiariser avec Ichiko (Mariko Tsutsui), l’aide-soignante à domicile, d’une grande précaution et d’indulgence, si bien qu’on nous donne de la matière à travailler comme des raisins dans un pressoir. Pourtant, elle possède deux faces, deux images ou deux identités. S’agit-il de la considérer pour ses compétences ou pour sa maternité remise en cause ? Tout l’œuvre nous questionne sur ces possibilités, bien que l’on s’accorde à nous raconter le strict minimum, du moins dans les maigres échanges verbaux. Le plus important réside dans un non-dit méticuleux et le thriller psychologique nous apparaît plus évident au fur et à mesure.
Comme pour la grand-mère au bout de son existence, le réalisateur ne reste pas sénile, mais patiente juste assez pour ajuster son puzzle auquel nous participons inconsciemment. L’exemple du cadrage et de l’inertie des personnages dans le plan justifient toute cette tension qui se relâche peu et qui coïncide avec un malaise certain. En utilisant le décor pour resserrer encore plus le cadre, Ichiko finit par étouffer et ne peut plus accéder à l’horizon qu’elle s’est initialement accordée. Son opposition à Motoko (Mikako Ichikawa), l’une des petites-filles de sa patiente, suggère tout un élan de curiosité, mais également tout un mécanisme qui entraîne un tapage médiatique, qui tombe ironiquement à pic, question de crise sanitaire. Un parallélisme prend ainsi forme et qu’on l’anticipe ou non, il fera du bien par là où ça passe.
En somme, l’intrigue s’est contextualisée dans la confusion et soudoie même l’émotion de rester à l’écart, quelque part entre nos yeux attentifs et un écran trop petit pour des personnages aussi complexes. La dualité caractérise ainsi une femme qui tente d’exister au sein d’une famille, mais refuse pourtant de l’épouser jusque dans la folie des passions. Et c’est là que réside toute la pertinence du discours sur les vertus japonaises que l’on éclipse souvent sous des apparences, tantôt trompeuses, tantôt ravageuses pour autrui. C’est pourquoi « L’Infirmière » ou dans son titre original « Yokogao », qui se traduit par « de profil », porte bien son nom, car concorde humblement avec une composition hémisphérique d’une société amputée de sa crédibilité et de sa confiance.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2020
Créée
le 6 août 2020
Critique lue 1.5K fois
11 j'aime
D'autres avis sur L'Infirmière
Comme ce fut le cas avec "Madre" il y a quelques semaines, "l'Infirmière" est un film desservi par sa bande annonce - qui en dit trop, comme beaucoup de bandes-annonces -, par son slogan inepte...
Par
le 15 août 2020
19 j'aime
7
Je vais reprendre le déroulement de ma réception du film ; ce qui devrait expliquer pourquoi je le trouve original et maîtrisé. Ce sera probablement incompréhensible pour ceux qui ne l'ont pas vu,...
Par
le 9 août 2020
18 j'aime
5
Le cinéma de Kôji Fukada trouve à présent plus de cohérence et de consistances, dès lors que le mystère qu’il entretient caresse davantage son ambiguïté. Dans la lignée de son succès cannois «...
Par
le 6 août 2020
11 j'aime
Du même critique
Un ranger de l’espace montre le bout de ses ailes et ce n’est pourtant pas un jouet. Ce sera d’ailleurs le premier message en ouverture, comme pour éviter toute confusion chez le spectateur,...
Par
le 19 juin 2022
22 j'aime
4
La surenchère de « À Couteaux Tirés » semble avoir fait son effet, notamment depuis « Looper » et ce mauvais pari intergalactique chez Disney. Pourtant, Rian Johnson retourne à ses amours, à base de...
Par
le 23 déc. 2022
20 j'aime
Avec une production et une réalisation bousculée par la grande firme que l’on ne citera plus, le second spin-off de la saga Star Wars peut encore espérer mieux. Cela ne veut pas dire pour autant que...
Par
le 23 mai 2018
19 j'aime
2