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Je ne m’attendais pas à ce qu’un jour Louis Garrel, un des représentants les plus marqués, volontairement ou non, du cinéma bobo parisien intra-muros, en vienne à réaliser et à jouer l’un des rôles...
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le 23 oct. 2022
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Quatrième film de son co-scénariste et réalisateur, L'Innocent de Louis Garrel nous narre l'histoire de d'Abel Lefranc (interprété par ce même Louis Garrel, en sous-jeu constant, à la manière de la plupart de ses rôles, c'en deviendrait presque caractéristique), dont la mère, Sylvie (Anouk Grinberg) à une énième fois la meilleure idée du monde : se marier avec un détenu ! Celui-ci, Michel Ferrand, est campé par Roschdy Zem. Abel, jeune trentenaire, en à plus qu'assez des excentricités de sa mère et sent que tout ceci va mal finir. Libéré de prison, Michel, accompagné de Sylvie, décide d'ouvrir une boutique de fleurs, Michel faisant l'intérimaire à Conforama en attendant de pouvoir débuter leur affaire (cela sonne comme une blague, mais ce n'en est pas une). Évidemment, le problème va résider dans le financement du local de cette future boutique, ce bon vieux Michel ayant emprunté de l'argent à une connaissance du milieu du banditisme, Jean-Paul, qu'il devra donc aidé à détourner un camion transportant du caviar, en guise de renvoi d’ascenseur.
Maintenant que l'on a résumé l'argument du film, j'avoue ne pas savoir réellement par où commencer la critique proprement dite, tellement ce long-métrage est perclus de problèmes. Peut-être par le scénario, puisqu'il faut bien débuter quelque part.
La première partie, qui traine désespérément en longueur, s'échine à montrer la méfiance, et même la détestation d'Abel pour Michel. Il va jusqu'à le suivre, une fois pisté à l'aide du collier électronique de son chien muni d'un haut-parleur. Il lui permet d'écouter la conversation au sujet du futur braquage entre Michel et Jean-Paul (si, si, je vous jure, c'est vraiment dans le film) Puis, il va miraculeusement s'enticher de beau-papa lorsque ce dernier lui propose de participer au coup pour qu'il puisse se faire un maximum de thunes.
Le jeune freluquet est également motivé par l'enthousiasme béat (et béta) de sa meilleure amie, Clémence Genièvre (Noémie Merlant), qui se dit : "quand même, un braquage, c'est trop excitant, non ?" (ce n'est pas une véritable réplique du film, mais cela résume assez bien l'état-d'esprit pré-adolescent de la jeune femme). Ledit jeune freluquet est bien vite convaincu par elle, d'autant plus facilement qu'il en est amoureux, les spectateurs ne devant pas le savoir avant la dernière partie du film, alors même qu'ils s'en doutent déjà dès la première apparition commune des deux comédiens à l'écran. Clémence est par ailleurs la meilleure amie de la femme décédée d'Abel, Maud, ce qui, on en conviendra, fait mauvais effet. Maud est d'ailleurs le sujet de la réplique la plus involontairement drôle du film.
En effet, lorsque Michel demande à Abel s'il fréquente quelqu'un, ce dernier ne trouve rien de mieux à lui répondre que :
Oui, j'ai une femme, mais elle est morte.
et tout cela, sur le ton monocorde typique de Louis Garrel.
Bon, il est temps d'abréger sur le scénario car cela commence a être déjà bien long et j'en ai déjà marre d'écrire à propos de ce film ! Que dire d'autre sinon que les personnages et l'ensemble du scénario est globalement mal écrit, et tout particulièrement le personnage de Clémence d'ailleurs, qui demeure le personnage le plus détestable du film. Au cours d'une scène particulièrement lunaire, celle-ci reproche à Louis d'être trop coincé car il se méfie de son beau-père, qu'il faudrait qu'il laisse vivre sa mère et participe au braquage du fourgon, parce que "oh, ça va, c'est que du caviar !" Il faudra m'expliquer à quel moment d'une vraie conversation quelqu'un à déjà reprocher à quelqu'un d'autre de ne pas vouloir participer à un braquage ! Cette scène n'est pas une exception, puisque absolument tous les dialogues du film sonne faux.
La seule bonne scène du film étant paradoxalement celle où les deux futurs tourtereaux doivent jouer la comédie afin de distraire le chauffeur poids-lourds (meilleur acteur du film) qui transporte la cargaison de caviar, alors qu'il prend son repas dans un restaurant. Mimant un couple qui se déchire, les deux jeunes gens finissent par s'avouer leur amour, après avoir puiser dans les véritables reproches mutuels qu'ils avaient à se faire. Le fait que ce soit le seul moment d'authenticité du film est en soi un problème, puisqu'il s'agit de l'unique moment où tout est censé être feint. On passera aussi sur le fait que dire des vérités lors d'une scène de mensonges est un des poncifs les plus éculés jamais vu au cinéma.
Finalement, la joyeuse bande se fait trahir par Jean-Paul, qui les dénoncent à la police. Ce cher Abel, qui est décidément bien brave, se fait emprisonner et prend pour tout le monde, non sans avoir préalablement déposé son gentil beau-père à l'hôpital, car le monsieur s'est pris une baballe. On ne saura jamais dans quelle réalité vit le réalisateur pour croire que c'est une bonne idée de déposer un malfrat à l'hôpital quand il veut à tout prix échapper à la police, ni par quel miracle celui-ci fini par lui échapper alors qu'une infirmière lui extrait une balle de la cuisse.
Abel se retrouve donc dans la prison la plus proprette du monde, seul dans une cellule munie d'un bureau pour écrire. Non, mais vraiment, c'est à se demander dans quelle dimension vit Louis Garrel pour penser qu'une prison ressemble à ça. Mais ce n'est malheureusement pas encore terminé. Dans un ultime élan de bravoure, le film prend "un virage TF1". L'affection qui unit beau-papa et le freluquet achève de se cimenter symboliquement par une lettre dans laquelle Michel exprime qu'il trouve qu'Abel et globalement plus heureux depuis qu'il est en prison (en omettant totalement le fait que ce dernier se retrouve en prison uniquement pour sa gueule). Tout cette idiotie se termine par le mariage d'Abel et Clémence derrière les barreaux, dans une structure cyclique du récit, puisque cette scène est identique à celle du début du film, qui montrait le mariage de Sylvie et Michel. Et tout le monde il est gentil, tout le monde, il est content !
Parlons maintenant d'un autre aspect immensément gênant du film : sa vision des petites gens, des prolétaires. Ils sont tous paumés sans exceptions, sans thunes et obligés de magouiller pour s'en sortir. Celui qui est soupçonné d'être malhonnête depuis le début (Michel) l'est effectivement, car vous comprenez bien ma petite dame, aucune rédemption n'est possible. La seule trajectoire possible dans ce monde, quand l'on veut se montrer un minimum raisonnable (comme l'est Abel au début) est de finalement accepter la part de folie qui sommeil en nous, puisque, après tout la prison, c'est fun... On passera aussi sur la romantisation de la prison que n'aurait pas osée la littérature romantique du dix-neuvième siècle la plus mauvaise. Ah, et aussi, les prolos, ça écoute encore Pour le plaisir d'Herbert Léonard à fond dans la bagnole (de là vient le titre de cette critique), et du Gérard Blanc en soirée, sinon, c'est pas des vrais prolos. C'est la qu'on se rend bien compte que Louis Garrel n'a probablement jamais vu un pauvre de sa vie... Tout cela fait que l'on a décidément bien du mal à savoir où veut en venir le film !
Finissons-en par l'aspect technique du film. Mais qu'en dire là encore sinon que le montage de Pierre Deschamps et son équipe est proprement erratique. Celui-ci alterne des plans trop courts, des plans trop longs, des cuts abruptes et des fondus enchaînés sans aucune cohérence d'ensemble. Il en est malheureusement de même pour les plans de caméras. Un seul plan débullé dans tout le film (pourquoi ?), des split screens mal utilisés, un ralenti unique au milieu d'une scène d'action d'une durée de quelques secondes, et ce, sans aucune raison, et les pires zoom-avant et arrière de l'histoire du cinéma (là encore inutiles) et j'en passe et des meilleures. Hé oui, malheureusement pour Louis Garrel, je sais faire la différence entre des tentatives expérimentales et une absence totale de maîtrise de son médium, sans même parlait du fait que ce film est censé être une comédie, tout en ne contenant aucune scène drôle.
Voilà encore du grain à moudre pour ceux qui voudrait en terminer avec la socialisation partielle de la production cinématographique, tant ce film n'aurait pas été possible sans les avances sur recettes du Centre National de la Cinématographie (CNC) et sa cooptation germanopratine. Mais ce serait oublié que le cinéma français, même d'art et d'essai, est capable de bien mieux que cela, mais aussi que le CNC permet de financer des cinéastes talentueux mais désargentés ou qui débutent. Il est dommage cependant que le grand public considère que notre cinéma est avant tout peuplé par ce genre de film artistiquement piteux, et qui véhicule une image des petites gens issues de cerveaux stériles de versaillais jamais sortis de leur quartier. Mais ce n'est pas avec des films comme celui-ci que l'image du cinéma français va changer...
Créée
le 12 nov. 2022
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