L'Insoumise de William Wyler, c'est le prix de consolation pour Bette Davis, après s'être fait "voler" le rôle de Scarlett O'hara (rôle qui lui était pourtant promis) par Vivien Leigh. Dans L'insoumise, Bette Davis joue le rôle principal de Julie Marsden, une héroïne "à priori" fort peu sympathique, comme Scarlett O'hara dans Autant en emporte le vent. Compte tenu du sacrifice qu'est capable de faire Julie Marsden dans L'insoumise, il est approprié de dire que Bette Davis aurait très bien pu endosser le rôle de Scarlett O'hara aussi ... et très probablement qu'elle aurait été parfaite dans ce rôle aussi.
Julie est sur le point de se marier au très beau, très riche et très puissant (et très bon) Preston Dillard (Henry Fonda), mais elle aime l’idée qu’elle peut encore faire tourner la tête de chaque jeune homme de la Nouvelle-Orléans. Sa cible préférée est le fringant Buck Cantrell (George Brent) qui n'est pas insensible à sa beauté. Preston quant à lui, préfère consacrer son temps à mener ses affaires, plutôt que de répondre au moindre de ses caprices. C’est une femme qui ne supporte pas, de ne pas être le centre de toutes les attentions. Ainsi, d’un geste audacieux, elle décide de porter une robe rouge à un bal qui impose à toutes les jeunes femmes célibataires de porter du blanc. Quand elle commet l'irréparable, alors que tout le monde l'implore de ne pas le faire, toute la haute société de la Nouvelle-Orléans l'évite aussi efficacement que si elle était une Amish. Julie poursuivra obstinément dans cette voie, ce qui va aboutir (après une série d'évènements que je ne dévoilerai pas ici) à beaucoup de tragédies (que je ne dévoilerai pas non plus).
Comme Scarlett O'hara, Julie Marsen est un personnage féminin moderne, affranchi et totalement libre, qui est la seule responsable de ses propres choix. Jamais durant tout le film, elle ne se laissera dicter sa conduite. Au contraire, elle s'amusera à défier toutes les conventions de son époque. Julie est ce personnage égoïste, ne reculant ni devant l'escroquerie ni devant le mensonge pour arriver à ses fins. Elle est tout aussi obstinée et méchante que Scarlett O’Hara ne pourrait jamais l’être, voire même plus. Contrairement à Julie, Scarlett ne violerait jamais délibérément le code vestimentaire pour porter cette robe rouge écarlate, lors d'un bal qui impose aux jeune filles célibataires de porter une robe blanche.
Sur le papier, Julie peut sembler être un personnage très caricatural et antipathique, mais Bette Davis arrive lui donner vie à l'écran. Non seulement elle lui donne toute sa crédibilité, mais elle réalise l'exploit de la rendre presque sympathique. C'est d'ailleurs pour ce rôle, qu'elle remporte son deuxième Oscar de la meilleure actrice. Fay Bainter quant à elle, dans le rôle de la tante de Julie, sera elle aussi nommée (sans l'emporter) dans la catégorie de la meilleure actrice dans un second rôle. Henry Fonda et George Brent quant à eux sont parfaits dans leurs rôles respectifs, mais ils ne sont que des faire-valoir pour Bette Davis, dans un film "véhicule à oscar" pour et au service de Bette Davis. Une autre performance que j’ai beaucoup aimée, c'est celle de Donald Crisp dans le rôle du médecin qui essaie combattre l'ignorance (et beaucoup de préjugés) de cette époque à la Nouvelle-Orléans. Tout le monde panique lorsque la fièvre jaune sévit, sauf lui.
Tout le film est marqué par la connaissance que nous avons de cette haute société sudiste esclavagiste, qui est sur le point de s’effondrer. Dans L'Insoumise, nous sommes une dizaine d'années avant les événements si bien racontés dans Autant en emporte le vent. Les deux films se complètent parfaitement et donnent une bonne vision globale de cette époque. Alors certes, les deux films ont pour point commun, de présenter une version un peu trop romantique de la haute société sudiste et une vision très édulcorée de l'esclavagisme, avec notamment le personnel de maison tous dépeints comme très satisfaits de leur sort. Les deux films partagent la responsabilité historique, de vouloir faire de cette vision édulcorée une réalité.
L'Insoumise fut le premier film de Bette Davis avec le réalisateur William Wyler, un réalisateur qu’elle admirait par-dessus tout. Et pourtant, elle n’était généralement pas très généreuse en éloges envers ses collègues, c'est le moins que l'on puisse dire. Tout mot gentil envers l’un d’entre eux était un évènement vraiment exceptionnel. Bette Davis était connue pour ses sautes d'humeurs et pour être très difficile à travailler avec, sur les plateaux. Apparemment, William Wyler connaissait la formule magique pour l'amadouer et pour la diriger comme il le souhaitait ... et le résultat en valait vraiment la peine. Alors certes, L'Insoumise n'est peut-être pas le meilleur film de Bette Davis (cf. All about Ève), mais c'est certainement l'un des tout meilleurs.