--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au vingt-deuxième épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :

https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163

Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :

https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896

Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---

Récapitulons : je sais désormais où habite l'homme invisible, je sais qu'il détient toujours la formule de sa potion d'invisibilité et qu'il peut la reproduire à loisir, je sais surtout qu'il est dérangé et violent, et que cette tare vient certainement de son état d'invisibilité. Je sais aussi que je suis seule avec un jeune loup-garou novice dans un Paris où l'entièreté de la communauté magique me déteste. Je sais enfin que je veux rencontrer ce personnage insaisissable quoi qu'il en coûte.

Sur ce constat peu réjouissant et aux multiples impasses, j'entamais la mort dans l'âme le visionnage de ce que j'attendais comme étant un énième film d'homme invisible raté. Place aux allemands cette fois-ci, et leur curieux Invisible Docteur Mabuse. Et ce fut une surprise absolument stupéfiante : non seulement le film n'est pas mauvais, mais en fait, il est absolument brillant ! Cette pépite de 1962 est l’énième apparition du diabolique Docteur Mabuse, personnage prolifique de la culture allemande, puis qu’après sa série de livres à succès, l'antagoniste s'est vu porté sur grand écran pas moins de trois fois par le génial Fritz Lang. Héritant donc tout naturellement d'une esthétique expressionniste, patinée de l'influence contemporaine d'un film noir alors à son apogée, l'Invisible Docteur Mabuse nous plonge irrésistiblement dans son atmosphère inquiétante et sournoise, sous la houlette d'un clown machiavélique, aïeul direct de celui qui fera bien plus tard le succès de Ça. Accompagné d'une partition curieusement mais efficacement minimaliste, le film jongle avec brio entre modernité et classicisme, récupérant immanquablement le meilleur des deux mondes. Son noir et blanc tardif est l'écrin d'une photographie sublime, où ombres et lumière se font à la fois porteurs d'intrigue, de symbolique et d'ambiance. Retraçant une enquête policière, dont le cadre se situe au sein d'une troupe de théâtre, tout se joue et se déjoue, l'intrigue s'entortille savamment pour nous conduire là où on ne l'attend jamais, rebondissant sur des jeux de paraître et de faux-semblant mis en exergue par l'artificialité d'un décor de théâtre. Fausse guillotine qui en est une vraie, vrai homme invisible qui n'en est pas un, double visage, usurpation d'identité, masques, présence/absence, le film brouille les pistes incessamment, nous mettant à la recherche d'un criminel qui ne cesse de changer de visage... Quand il en a un. Le film s'ouvre d'ailleurs sur une introduction pleine de sens puisqu'on nous laisse à voir la représentation de la pièce de théâtre qu'interprète la troupe : dans cette histoire dont on ne verra jamais que la fin, l'artificialité du décor et de l’interprétation sont flagrants, mais on se laisse tout de même séduire par une comédienne qui deviendra une femme à aimer pour de vrai, et qui risquerai, si l'homme qui l'aime venait à faire preuve de lâcheté, à en mourir. Le tout sous le regard scrutateur d'un homme invisible mystérieux, plutôt symbole à ce moment de la quête éperdue de l'homme qui tire les ficelles dans l'ombre, du danger qui rode, qu'il faudra démasquer, masque après masque, jusqu'à ce qu'il ne reste rien.

Trésor de broderie scénaristique, lové dans un écrin d'image et de son en tout point irréprochable, le film n'oublie jamais qu'il se livre à un public, et s'adresse à tous, néophyte ou cinéphile, amateur de Fritz Lang, d'expressionnisme, de film noir, du Docteur Mabuse ou bien de rien du tout peu importe, malgré la sophistication de son intrigue, le film ne laisse jamais son spectateur derrière lui. Avançant avec un pas d'avance sur l'enquêteur, patinant dans le brouillard avec lui ou même plus troublé que lui encore par un titre de film qui n'est qu'une fausse piste de plus, le spectateur se fait continuellement surprendre, sans jamais pourtant avoir l'impression d'être perdu par une intrigue trop complexe. Et comme tout y est savamment façonné, le personnage de l'homme invisible lui aussi bénéficie d'un traitement de luxe. Attendu, craint, effrayant et finalement désarmant, le personnage n'est pas plus que le reste ce que les apparences auraient laissé supposé. Je n'ai évidemment pas manqué de remarquer que dans un monde pré-féminisme un harceleur pervers peut être interprété comme un amoureux éperdu, mais étant donné l'immensité de la réussite de tout le reste du film, je peux admettre cette faiblesse là. N'empêche, quelque chose me frappe, quelque chose qui pourtant tombe tellement sous le sens que je ne comprends pas pourquoi personne avant, ni à ma connaissance personne après (puisque la chronologie a volé en éclat cette fois, elle me permet au moins ce genre de constat) ne l'a jamais fait (hormis peut-être Mad Monster Party ? On en revient toujours au gag de la tarte à la crème) : l'homme invisible ici a quelque chose à cacher. Ce n'est pas simplement un trublion qui veut semer la zizanie, pas non plus un savant fou qui se fait dépasser par ses talents, pas plus un filou ni un voleur, et encore moins une victime essayant de se dépatouiller d'un sortilège non-mérité. Non, l'homme invisible ici est délibérément invisible, parce qu'il a honte de son visage. C'est une solution certes un peu plus radicale que la chirurgie esthétique, mais elle ouvre, et le film les franchit toutes, un bon nombre de portes de réflexion. Tellement que j'en viens à cette conclusion, indéniable : si homme invisible il y a, encore, aujourd'hui, et avec tout ce que je sais déjà de lui, alors c'est celui-ci, celui qui est volontairement invisible, et qui peut-être fait ce qu'il faut pour le rester. Tout comme les loup-garou que nous sommes pourraient se libérer de leur malédiction si seulement ils le désiraient, mon homme invisible ne cherche pas à se libérer, car il n'est pas maudit : il a choisi sa condition. Et si tel est le cas, alors bien sûr c'est parce qu'il a quelque chose à cacher.

Zalya
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le 6 nov. 2022

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