Les années 60 resteront sans doute pour toujours ce moment inouï, cette "parenthèse enchantée", qui vit le cinéma devenir "moderne", et s'affranchir - un bref instant - des contraintes de narration classique, de succès commercial, pour embrasser son destin - toujours contrarié - de véritable Art (et non plus d'industrie...). Au Japon, le plus effréné novateur s'appelait alors Oshima, et revoir ses films de cette époque, avant la "maîtrise" et la "gloire" qui viendront ensuite, signifie se prendre une bonne claque. 50 ans plus tard, qui fait des films ainsi, avec cette beauté stupéfiante qui n'obéit à aucun classicisme, à aucun cliché ? Qui sait filmer avec autant d'empathie des êtres s'effondrant dans leurs pulsions obscures, dévastatrices, sans jamais en appeler aux éternels ressorts de la psychologie et du rationnel ? Qui va aussi loin dans l'aventure formelle, entre ruptures de perspectives, déconstruction temporelle labyrinthique et déni de l'utilitarisme des personnages et des dialogues ? Personne ou presque, parce que le spectateur moderne ne souhaite certainement pas voir un film qui refuse autant de faire sens commun, qui rejette la morale universelle avec autant de vigueur (ah, cette incroyable scène de viol de l'épouse devant son mari pendu, filmée comme une ode à la nature et la vitalité !), et qui finalement se conclut de manière aussi radicale ("J'ai 20 ans et j'ai encore survécu" ou quelque chose comme ça...). Difficile, parfois même rebutant, "l'Obsédé en Plein Jour" récompensera pourtant au centuple le spectateur persévérant qui acceptera de se perdre dans le non-récit cruel d'une histoire d'amour et de sexe et de mort entre quatre personnages qui lui resteront de toute façon incompréhensibles : les instants sublimes ne manquent pas, et leur brûlure est inoubliable. [Critique écrite en 2013]