Délicieux ou ravissant, ou peut-être les deux, ce sont les termes qui me semblent convenir le mieux à L’Odeur De La Papaye Verte, que j’ai ressenti comme une promenade indolente et d’une douceur infinie dans un Viêt-Nam loin des bombes, mais pas des couvre-feu, loin des mines anti-personnelles mais pas d’un conflit qui rôde comme un invisible ennemi qui semble attendre que les hommes l’oublient pour mieux frapper. L’univers que peint Tran Anh Hung rassure autant qu’il excite, par un éveil des sens qui s’exprime dès les premières minutes du film, un univers exotique et sensuel qui s’exprime à travers les êtres qui peuplent cette maison de maîtres, où le temps semble s’écouler au rythme des méditations et des lectures de chacun des êtres qui la peuplent.

Le centre de cette histoire et bientôt de cette maison est Mùi, fillette placée dans cette famille pour y devenir servante de maîtres qui semblent considérer leur personnel comme membres de leur famille. Mùi apprend, travaille, s’intègre et en arrive même à devenir la fille de remplacement de celle qui décéda quelques années plus tôt, lors d’une des multiples absences répétées du chef de famille. Mùi apparaît peut-être comme une petite fille simple, mais elle prend simplement le temps de la curiosité du monde qui l’entoure, de cette végétation luxuriante, fascinante et omniprésente jusque dans la demeure familiale, de cette faune spectaculaire et intrigante qui fait partie du quotidien le plus intime. Au fil des années, par sa gentillesse, sa beauté et cette douceur qui transporte ceux qui la croisent, elle va devenir membre à part entière de cette famille qui, si elle l’a séparée de sa mère, a su ne pas voir en elle que la simple bonne à tout faire.

Le rythme est lent dans L’Odeur De Papaye Verte, le temps se regarde passer comme des nuages de mousson, avec le rythme naturel que la nature vous impose, glorifiant la douceur de vivre comme finalité de chaque être vivant. L’histoire prend le temps de caresser les personnages du regard, de voir s’exprimer leurs regards à travers les persiennes, au détour d’une fleur. Les sens sont en éveil, tous sans exceptions, la musique du patron, l’odeur de la papaye verte, le goût du poisson, la beauté de la végétation et le craquant sous le doigt des fourmis qu’on écrase par jeu. La prouesse est de taille puisque d’un film d’une lenteur et d’une contemplation rare, Tran Anh Hung arrive à faire une histoire qui arrive, sans solliciter notre raisonnement, à capter nos sens et à les maintenir en éveil pendant quatre vingt dix minutes, démontrant que c’est bien par eux que viennent les meilleurs des plaisirs, et avant tout le plaisir primaire, celui qui ne se comprend ni ne s’explique, le plaisir immédiat que l’on capte physiquement sans avoir besoin de se demander pourquoi.

C’est Trân Nu Yên-Khê, actrice d’une beauté rare et exceptionnelle qui incarne Mùi à l’âge adulte et joue parfaitement cette fausse naïveté d’une jeune fille curieuse de chaque chose et fascinée par tout ce qui l’entoure. Mùi aime sa vie c’est évident et cette actrice semble avoir la même approche philosophique, c’est du moins ce qu’elle transmet. Elle parle peu, comme le film, mais on sent que, comme nous, ses sens sont en éveil et captent tout ce qu’il faut voir, entendre, toucher, goûter et sentir. La caméra de Tran Anh Hung l’entoure, la caresse du regard et enchaîne les mouvements virtuoses sans jamais tomber dans l’énervement ou l’exaspération d’une mise en scène dont ont le secret les anciens réalisateurs de clips.

On voyage, passant de découverte en découverte, rendant le fond de l’histoire presque anecdotique et privilégiant ces sens qui nous rendent le film presque immersif, sans qu’il soit nécessaire de recourir à de quelconques effets spéciaux. On se prend vite à rêver de vivre avec eux, de partager leurs soirées musicales entre père et fils, de goûter cette fameuse papaye servie fraichement découpée, de sentir les odeurs de végétation lors d’un matin chargé d’humidité. On rêve d’être avec eux pour tomber amoureux de la belle Mùi, pour qu’elle nous apprenne à nous aussi que simplicité de vie ne signifie pas pauvreté, que dénuement ne signifie pas malheur. Qu’elle nous apprenne à nous aussi à savoir capter la beauté de ce qui nous entoure et à savoir en profiter avec humilité, en ouvrant grand nos sens à toutes ces merveilles qui, dans cette œuvre, ne sont qu'enivrants et entêtants parfums de la Nature.
Jambalaya
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le 23 janv. 2014

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Jambalaya

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