L'Œuf de l'ange
7.4
L'Œuf de l'ange

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (1985)

L’œuf de l'ange ne pourrait être qu'un petit film sf post-apocalyptique un peu étrange et hermétique devant lequel on s'ennuie un peu parce qu'il y a à tout péter 3 ou 4 scènes de dialogues et que le scénario ne casse pas trois pattes à un canard : une petite fille cherche à protéger un œuf jusqu'à son éclosion tout en errant dans un monde presque désertique, elle y rencontre un homme avec qui elle voyage quelque peu tout en ne sachant pas s'il est un ennemi ou non.


Évidemment, ma première envie serait de dire qu'il faut absolument le regarder parce que Mamoru Oshii et que ce sera une claque visuelle et sensorielle comme rarement expérimentée. Mais bon, il est difficile de nier que ce film n'est pas à la portée de tous. D'autre l'auront sûrement dit avant moi mais l'animation est extrêmement référencée (surtout biblique) et peut paraître extrêmement obscure. J'aurai bien envie de dire : est-ce que tu t'empêches de lire un poème sous prétexte que t'as pas les références et que tu comprends pas tout ? Non, parce que tu sais que le sens d'un poème n'est qu'une manière parmi d'autres d'apprécier et d'appréhender celui-ci. La signifiance n'est pas reine en matière d'art, c'est l'émotion.
L'oeuf de l'ange c'est la même chose !


Pour moi L'oeuf de l'ange a eu un effet coup de poing en pleine figure, tout comme l'ont été L'échelle de Jacob ou encore Au hasard Balthazar, parce qu'il dégage quelque chose qui dépasse le simple support filmique. Dès les premières minutes du film, on comprend très vite que son moteur ne sera ni l'action, ni les dialogues et encore moins les personnages, mais l'exploration de ce monde post-apocalyptique qui nous est inconnu. C'est une expérience de la beauté qui passe par l'animation absolument magnifique, la musique et la dilatation du temps. Référence biblique oblige, la beauté est l'une des premières manifestations de la présence divine, et ce film est une parabole de cette recherche du divin.


Pour commencer, je ne suis pas particulièrement connaisseuse en matière de religion et j'ai appréhendé ce film comme un film d'Oshii, donc je m'attendais à la fois à une réflexion philosophique et à un film contemplatif, avec différents rythmes, un peu construit à la Ghost in the Shell, qui était jusque là son film d'animation qui m'avait le plus marqué. C'était jusqu'à L’œuf de l'ange. Non seulement le film pousse à l'extrême le côté contemplatif, mais il le fait avec brio et justesse afin d'essayer de saisir et de mettre au jour ce qu'est la grâce. Et la grâce, que l'on ne vienne pas me dire le contraire, c'est l'une des choses les plus difficiles à figurer sans tomber dans les clichés et les stéréotypes complétement creux. En outre, ce film reste pour moi abordable y compris si l'on n'a que peu de références bibliques. L'on peut y ajouter sans problème sa propre interprétation et trouver du sens, un intérêt au film en ayant juste la référence à l'arche de Noé et au Christ, si tant est que l'on est prêt à accepter que le film est avant tout une expérience visuelle et non le déroulé d'un scénario.


Le film est un espèce de croisement entre une volonté de questionnement de la foi religieuse et une expérience du Nouveau Roman poussée à bout. Dans Hiroshima mon amour de Resnais, Duras, au scénario, a choisi de réduire au maximum l'identité de ses personnages pour en faire des symboles, des allégories, et ces deux corps enlacés du film ne sont nommés que de façon indéfinie pour un spectateur avide d'histoires rondement menées : Elle et Lui. Rien de plus, mais le tout est amplement suffisant pour dérouler les enjeux du film. Dans L'oeuf de l'ange, l'abstraction est elle aussi à son paroxysme. Les deux protagonistes n'ont non seulement pas de nom, pas d'identité, pas de passé, de souvenirs, de futur, de relations, l'univers dans lequel ils évoluent est indéfini et leur réalité même est questionnée. Bref, rien n'est connu ni identifiable, pas même la réalité de l'univers présenté. Et c'est justement cette incertitude, ce flottement, couplé à l'atmosphère contemplative du film et de la musique qui rend ce film si fascinant. Le sens passe essentiellement par les images, dont la signification n'est elle-même pas explicite puisque symbolique, et le film en devient une expérience sensorielle avant tout. Nos personnages sont réduits à de simples fonctions, de simples allégories présentent pour représenter un but, une idée, et l’œuf que couve avec diligence et affection la jeune fille est tout autant personnage-symbole que ne le sont les protagonistes, l'oiseau des premiers plans ou encore l'eau, omniprésente dans le film.


Alors oui, c'est vrai que le film semble hermétique à celui qui n'a pas les références, mais c'est justement cet hermétisme qui permet l'interprétation, la réflexion et la manifestation de la grâce dans ce film, qui ne peut laisser indifférent quiconque en a fait l'expérience.


Pour ceux et celles qui essaieraient de dégager du sens après visionnage, parce qu'avouons-le on en a très envie pour n'importe quel film, ce film propose quelques pistes de réflexions, sur la religion notamment. Je ne prétend ni être exhaustive ni avoir les bonnes clés de lecture, l'essentiel des points abordés ci-dessous seront directement inspiré par cette critique (en anglais) : https://www.youtube.com/watch?v=2PJePhJY76U


La petite fille semble le symbole de l'innocence, de la foi absolu en dieu, et sa mission, sa mise à l'épreuve serait la protection de l’œuf, dont elle est assurée qu'il va éclore. De fait, l’œuf symbolise cette croyance, l'espoir de la jeune fille de voir une nouvelle vie naitre devant elle. La jeune fille devient une fille-mère vouée à la protection de ce nouvel être à venir.


A contrario, l'homme représenterai une version désenchantée du Christ, qui erre dans cet univers en portant sa croix, semble cacher ses stigmates et exprime ses doutes face à la foi, celle de la jeune fille, qu'il fini par briser en même temps que son innocence lorsqu'il brise son œuf, la forçant à devenir femme et à reconnaitre la vacuité de l’œuf. Il est celui qui, à l'instar de dieu face aux hommes, met à l'épreuve la foi de la jeune fille avant de la détruire et qu'elle ne soit en quelques sortes sanctifiée pour sa dévotion à l’œuf : certes elle décède dans la foulée de sa destruction mais c'est pour être à l'origine de plusieurs autres œufs et pour gagner sa place parmi les statues de l'orbe-dieu apparue au début du film.


Tout comme les pêcheurs, la jeune fille symbolise donc la foi absolu et en est le pendant positif, ce qui lui vaut la reconnaissance en tant que martyr, puisqu'elle est du côté de l'amour, de l'abnégation et de la vie. Les pêcheurs sont quant à eux le mauvais pendant de la foi, celle qui chasse un ennemi imaginaire et qui dans son aveuglement détruit tout sur son passage. Les pêcheurs chassent l'ombre de leur dieu, représenté par le poisson, référence au Christ, et déploient des efforts immenses pour le saisir, sans jamais y parvenir. La jeune fille, elle, se contente d'observer le monde et contemple ce dieu à travers le vitrail tout en effectuant sa tâche de récolte de l'eau, comme une offrande, un rituel ou une préparation à la naissance de l'oiseau.


L'oiseau est tout aussi auréolé de mystère, symbole du saint-esprit et de sa manifestation sur terre, il est endormi au début du film, bien au chaud dans son cocon, pour finalement se révéler être un fossile mort depuis on ne sait combien de temps. La découverte de son squelette, qui se fait après une sorte de baptême pour l'homme qui vient de traverser une étendue d'eau et est mouillé, se pose comme une révélation pour ce dernier, qui est dans un premier temps choqué. C'est cette découverte et cette révélation qui semble être l'élément déclencheur de la destruction de l’œuf puisque auparavant l'homme n'avait cherché ni à le subtiliser ni à le détruire malgré sa curiosité quand à son contenant.


Le film contient aussi sa propre version de l'arche de Noé, où cette fois-ci l'oiseau n'est jamais réapparut et où les hommes l'ont attendu si longtemps qu'ils en en ont fini par oublier la raison même de leur présence ainsi que la réalité préexistante au déluge. Et ces hommes qui ont oublié dieu, ou ont été oublié par lui, sont le symbole d'une perception discordante de la réalité. Est-ce que ces hommes, évoqués par le dialogue et l'imaginaire collectif, ont une réalité ? Quelle part est réelle et quelle part est imaginaire ? Le travail sur le temps, sa durée, sa dilatation, sa répétition, participe au processus de brouillage des frontières entre réalité et perception. Certains plans reviennent, les personnages doutent et leur manque de souvenirs joue en leur défaveur, chacun cherche la grâce à travers des preuves : est-ce que l'oiseau est le signe que la petite fille avait raison de croire en dieu et que les souvenirs de l'homme sont réels ? Est-ce que les plans du début du film s'inscrivent réellement dans une continuité narrative linéaire ou bien s'agit-il d'un récit qui se répète, dont les protagonistes sont soit des réincarnations soit des êtres condamnés à revivre les mêmes choses avec pour seuls indices une mémoire lacunaire ? La répétition des actions et des lieux ainsi que l'eau, qui n'a rien d'un fleuve Léthée, semble induire cette possibilité. L'eau est d'ailleurs omniprésente et semble déclencher chez les protagonistes, en particulier la jeune fille, le ravivement d'une mémoire oubliée ou une prémonition du futur, puisque la jeune fille se voit noyée alors qu'elle récupère de l'eau et est effrayée, ce qui se réalise à la fin du film. Le film questionne donc même l'idée de réalité.


De même, plus généralement, les ombres des poissons et nos protagonistes, pêcheurs inclus, peuvent symboliser les différentes attitudes envers une idéologie, qu'elle soit religieuse ou non. Le film date de 85, l'ont pourrait aisément voir dans la croyance aveugle et destructrice des pêcheurs une représentation de l'un des camps de la Guerre Froide, qu'il soit communiste ou non. Ils seraient une manifestation de l'horreur que peut engendrer une foi aveugle et les actions commises pour la justifier et l'imposer avec comme symbole de l'ennemi commun qui permet la cohésion sociale, même s'il est fictif, les ombres de poissons. La jeune fille serait ainsi l'espoir d'un renouveau au sein même de cette foi, telle une figure réformiste et optimiste qui fait ce qu'elle peut à son échelle a contrario de l'homme adulte plus cynique et qui ne croit plus en rien.


L'on peut aussi voir dans la dualité entre les deux protagonistes une opposition plus systémique : celle entre l'adulte et l'enfance, avec la jeune fille qui devient adulte à l'issue de son contact avec l'homme. Il s'agit aussi d'opposer leur façon d'appréhender le monde autour d'eux avec une jeune fille innocente qui apprend à accepter la dure réalité du monde et un adulte cartésien qui réapprend quelques peu à voir le monde de façon plus enchantée comme pourrait le suggérer les derniers plans du film lorsqu'il regarde la statue de la fillette. Enfin l'on peut y voir une opposition entre un homme et une femme en devenir, avec l'homme catégorisé par sa virilité (tenue militaire, espèce de tanks chevauchés, protection de la jeune fille...) et une jeune fille marquée par les atours de la maternité (son attitude envers l’œuf notamment) qui se concrétise par le brusque passage à la féminité lorsque l'homme brise l’œuf, symbole de son innocence, alors qu'elle est endormie. Il la fait devenir femme et elle accompli son rôle en donnant naissance à des dizaines d’œufs avant de rendre son dernier souffle.


Je n'aurais qu'une seule chose à dire, si vous avez un peu de patience, aimez le travail d'Oshii, les œuvres contemplatives et/ou n'êtes pas du genre à vouloir tout sur-expliquer et à chasser toute forme de confusion, ce film est pour vous ! Ce film est à voir rien que pour la qualité de son animation et pour l'expérience qu'il propose !

ElGrrekho
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le 26 juil. 2017

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