Très mal reçu à sa sortie en 1977, descendu par la critique et boudé par le public, ce film très atypique d'Ingmar Bergman mérite d'être reconsidéré et en le découvrant presque un demi-siècle plus tard on s'aperçoit qu'il ne dépare pas dans la prestigieuse filmographie du réalisateur suédois. Après avoir poussé jusqu'aux extrêmes limites son esthétique minimaliste focalisée sur des gros plans de visage, l'auteur de Persona revient au réalisme teinté d'expressionnisme qui marquait ses premiers films. Après l'austérité, la démesure des moyens fournis par le producteur Dino de Laurentiis: tourné à Munich dans d'impressionnants décors sur mesure qui serviront ensuite à Fasssbinder pour son Berlin Alexanderplatz, L'oeuf du serpent est un film noir teinté d'horreur d'un pessimisme absolu qui ne fait pas dans la dentelle. Dans la froideur morbide d'une ville perpétuellement pluvieuse rongée par la misère et la déréliction, les deux personnages incarnés par David Carradine et Liv Ullmann (lui trapéziste alcoolique sans travail, elle chanteuse dans un cabaret minable) se laissent emporter dans une spirale suicidaire avant de devenir les victimes d'un savant fou qui annonce les pires abominations du nazisme en marche. Admirablement mis en images par Sven Nikvist, cette descente aux enfers est particulièrement éprouvante et on y retrouve tous les sujets chers à Bergman: la culpabilité, l'omniprésence sournoise du mal, l'incommunicabilité, les pulsions névrotiques, l'absence de Dieu, la place de l'artiste dans la société, auxquels s'ajoute le thème du voyeurisme malheureusement mal traité par un scénario qui manque de cohérence en partant un peu dans tous les sens. Le réalisateur le reconnaissait lui-même: "Le malheur de L'oeuf du serpent, c'est que le thème du voyeur reste totalement incompatible avec l'histoire des deux artistes". Ce qui n'empêche pas le film de laisser sa marque dans la mémoire du spectateur avec son ambiance claustrophobique et ses décors labyrinthiques où toute trace d’humanité finit pas disparaître, engloutie par l'obscurité d'un désastre annoncé.