Film étrange, légèrement obscur, légèrement inquiétant, produit dans le contexte de l'après-guerre en Pologne et attaquant avec beaucoup de franchise (malgré la dimension retorse du scénario) la question du rapport à la vérité, sa nature versatile et changeante selon les points de vue adoptés. Un thème évidemment majeur dans les années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale, et qui est sillonné selon plusieurs trajectoires par Jerzy Kawalerowicz (dont je ne connaissais que "Pharaon", à des années-lumière à tous les niveaux).


"L'Ombre" (Cień) se base sur une entame radicalement minimaliste pour introduire son propos : on découvre aux côtés de deux personnages ce qui s'apparente à un accident, suicide ou meurtre, en tous cas un personnage projeté hors d'un train en marche et qui finit devant eux, complètement défiguré et méconnaissable. Il mourra peu de temps après et l'enquête occasionnera un récit de regards croisés à la "Rashōmon", qui s'articuleront autour de trois témoignages qui s'enchaînent, chacun étant déclenché par la conclusion du précédent.


On naviguera dans un premier temps au sein de la guerre et d'événements liés à la résistance, avec des conflits voilés entre plusieurs factions dont les contours ne sont pas immédiatement clairs (deux groupes de combattants communistes aux motivations et idéaux différents). Dans un second temps les souvenirs d'un autre personnage nous plonge dans l'immédiat-après-guerre, avec le récit d'une trahison et un suspense grandissant jusqu'à son dénouement. Seul le troisième segment, dans la Pologne contemporaine, trouve une relation directe avec l'épisode introductif, même si un mystérieux personnage semble relier tous les points des trois différentes époques. Le croisement de tous ces récits rend la compréhension peu évidente mais la thématique de l'ambiguïté, des soupçons, de la morale changeante, structure l'ensemble de manière très nette. Une vision qui explore la subjectivité de la vérité et la multiplicité des illusions autant que des perceptions, en lien avec la réalité politique de son temps.

Morrinson
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le 8 août 2024

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