Mon oncle d' Amérique

Trêve de plaisanteries, je vois que certains mal voyants ont mis 6/10 à "Shadow of a doubt" .
Les malheureux devaient être sous l'emprise de la couleur, d 'une migraine, d'une déception amoureuse, que sais-je ...

"L'ombre d 'un doute", avec sa famille à la Capra, ses personnages candides et pittoresques, est un film tranchant qui fait courir dans son récit les thèmes centraux du mal radical insoupçonnable, de la perte de l'innocence, avec qui plus est un fruit rongé de l'intérieur par le retour mythique d' un oncle élégant et suave, chaleureux et magnétique, incestueux et psychopathe .


Dans ce film, deux scènes au moins sont extraordinaires.

Quand l' oncle Charlie débite d'une voix calme son monologue du repas du soir, le regard perdu au loin dans ses fantasmes de tuerie, il est filmé comme vu pour la première fois sous ce jour par sa nièce placée à coté de lui ; Hitchcock nous montre un peu plus que son profil, et tandis que la caméra, en légère contre plongée, s'approche avec une infinie lenteur du visage de l'oncle Charlie et que nous entrevoyons sa folie en l'écoutant, nous entrevoyons aussi un oeil appartenant au profil qui reste caché, suggérant toute sa double face.
Ce cadrage singulier mais peu spectaculaire nous donne insidieusement l'impression d'être face à une statue dont nous ne faisons qu 'entrevoir le dixième de l'autre coté, soit l'illustration parfaite du sens de la scène.
A la fin de ce monologue, Hitchcock demande à Cotten de se tourner vers sa nièce, mais aussi vers nous, qui sommes soudain dévisagés par ce regard caméra et ces paupières d'une lassitude sans retour, car de son point de vue, il n'a prononcé que des évidences .

http://www.youtube.com/watch?v=LEoTXa_52A0


La scène finale du train enfin, est étonnante de perversion et de cruauté :
l' oncle Charlie maintient sa nièce encore un peu en vie en attendant qu 'un autre train croise le leur ...

Ce ne sont que deux scènes prises au sein de ce film terriblement cruel et cru des années 40, en noir et blanc, le préféré d' Alfred Hitchcock il est vrai.